Espace Partagé

Espace Partagé

Catégories
${ getMainCategory(selectedNews) }
Retour
${ calendarTrans }
Aucun événement disponible

UN NOUVEAU THÉÂTRE

« Le théâtre doit être ce que le théâtre n’est pas », écrivait Pasolini. Il doit accueillir la mémoire – personnelle et plurielle – et porter une histoire, celle du collectif. C’est avec cette vision que les travaux du Théâtre de la Ville ont été entrepris. Il n’a pas seulement été question de rénover le lieu, mais de le transformer en quelque chose de nouveau pour qu’il devienne ce qu’il n’était pas encore.

En 1871, le théâtre fut détruit par les événements de la Commune et réha-bilité à l’identique. Presque cent ans plus tard, en 1968, il fut déconstruit pour être reconstruit, gardant seulement les quatre murs Napoléon III et accueillant une impressionnante vague de gradins. Aujourd’hui, ces murs sont encore « repoussés » pour devenir ce que nous avons tant rêvé.

LE HALL n’est plus simplement un hall, il devient une agora lumineuse et connectée, un espace chronotopique, c’est-à-dire en continuelle transformation et aux usages divers. Un lieu d’intimité et de proximité qui accueillera pratiques artistiques, bals, concerts et conférences et assurera désormais le lien entre le théâtre et la ville comme une incitation à venir couplée d’une invitation à sortir vers la place.

LA PLACE DU CHÂTELET, en effet, devient une « nouvelle scène » pouvant accueillir des artistes du monde entier. Autour de la fontaine du palmier, dans un espace urbain réenchanté, elle accueillera des événements, faisant de l’espace public l’espace de tous les publics et de tous les arts.

LA COUPOLE, sous les toits du théâtre, au travers des formes artistiques que nous pourrons y proposer, invitera à la rêverie et à l’exploration de l’inconscient, à la manière de Bachelard qui considérait le grenier comme un refuge de la pensée poétique, soit un espace d’évasion où l’intérieur se confond avec l’imaginaire du dedans.

LA GRANDE SALLE , quant à elle, conserve son mythique gradin frontal, mais a été réinventée et rééquipée techniquement pour accueillir les grandes formes de théâtre, de danse et de musique d’aujourd’hui, ainsi que toutes leurs intersections. Accueillant artistes confirmés et nouveaux visages, venus des quatre coins du globe, elle sera à l’image de notre nouvelle ère, celle des années 20 du XXIe siècle.

Un théâtre du questionnement vers la transdisciplinarité

Qu’est-ce qu’un théâtre ? Un lieu de théâtre ? Quelle tension peut-il y avoir entre une œuvre théâtrale ou chorégraphique et une réalité sociale donnée ? De Shakespeare à Vercors, comment mettre en relation l’Homme face à une œuvre, le monde imaginaire face au réel ?

Je souhaite que soit présent sur scène tout ce qui fait l’Homme dans sa force et sa faiblesse, dans son mystère et son étrangeté. Une quête de clarté et de transparence pour rejoindre le théâtre de l’essentiel cher à Jerzy Grotowski, qui se veut à la fois écologique et esthétique.

Face à ces questions et inspirés par la notion de ville-monde, le « tout-monde » d’Édouard Glissant, nous avons souhaité bâtir un lieu qui cultive le dialogue interculturel et nourrit la créativité, la compréhension et l’al-térité. Devenir un espace transdisciplinaire, c’est vouloir accueillir le poé-tique qui émane des croisements inattendus. C’est capturer le geste, le regard, la beauté et apprendre avec toutes celles et ceux qui cherchent et créent, en art comme en science. C’est être ouvert aux avancées numé-riques de demain et curieux face aux imaginaires que ces avancées susci-teront. C’est dire que le poétique devient indissociable du scientifique.

C’est dans cette volonté de multitude que nous avons développé des projets passerelles, une Académie Santé Culture, des rencontres Art & Science, Art & Sport, des Consultations poétiques – portées aux quatre coins du globe par la troupe de l’Imaginaire fondée durant la pandémie –, ravivé le concours Danse Élargie et renommé Place à l’Europe le Festival Chantiers d’Europe. Tout pour susciter un dialogue fécond entre le monde des arts et celui des savoirs.

Ainsi, le théâtre doit être un lieu de transformation qui embrasse les iden-tités et les différences. Il doit porter les combats sociaux et sociétaux de notre époque, tels que l’environnement, l’intersectionnalité, les études de genre et l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour ce faire, il doit en-courager un dialogue toujours plus vibrant avec d’autres disciplines et d’autres continents, notamment le continent africain, avec lequel nous établissons des liens de plus en plus solides. C’est en poursuivant ces combats et dialogues que nous avons conçu l’ensemble de ce projet.

Des équipes en mouvement

Enrichis par notre expérience à l’Espace Cardin, lieu ressource et laboratoire, nous avons appris à mettre en pratique l’idée même de Théâtre dans la ville. L’Espace Cardin nous a offert un cadre à la fois chaleureux et intime, avec son magnifique jardin donnant sur les emblématiques Champs-Élysées, où le jeune Proust aimait flâner. Pendant sept années, nos équipes se sont renouvelées, les anciens ont accueilli les nouveaux arrivants et, ensemble, nous avons construit de nouvelles façons de faire et de penser.

Ici, nous avons construit un théâtre qui rencontre les populations et invente de nouvelles façons d’habiter l’espace public, un lieu où toutes les pratiques et leurs croisements deviennent possibles. Pendant ce temps, notamment traversé par la crise sanitaire et ses corollaires, nous avons repensé nos façons de faire et réaffirmé le sens de notre mission de théâtre public. Nous sommes devenus plus mobiles, rapides, agiles, faisant de l’altérité une force et un combat.

Je tiens à exprimer ma profonde reconnaissance envers toutes les équipes du Théâtre pour leur travail remarquable, leur implication sans faille et leur adaptabilité exceptionnelle au cours de ces sept belles années.

Je souhaite également, au nom de nous toutes et tous, exprimer nos sincères remerciements aux 38 lieux partenaires et à leurs équipes qui nous ont accompagnés durant ces années.

Un théâtre des corps et des rêves

Le théâtre a le pouvoir d'incarner la révolte, à la manière de Camus. Il est l’endroit où l'on prend position, où l'on dévoile, où la solitude face à l'autre reconstruit le monde, entre corps et rêve. Pina Bausch a transformé le théâtre en un corps sensuel et politique, un corps-foule en mouvement, un corps social érigé. Les musiques du monde, quant à elles, nous transportent dans des univers singuliers, où certains concerts semblent plus proches du rêve que de la réalité.

C’est dans cet esprit de tension entre corps et rêve, entre fantaisie et mouvement, que j’ai choisi de monter Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare avec la troupe qui m’accompagne depuis maintenant plus de 20 ans. Les personnages de cette pièce sont plongés dans un monde féérique où les frontières entre rêve et réalité s’estompent, donnant lieu à des situations burlesques autant qu’à des histoires d’amour complexes. La nuit d’été est brève, mais elle renferme toutes les possibilités. Une fois de plus, le réel et l’imaginaire se rencontrent, traçant l’équilibre qui définit l’essence même de l’humanité.

Dans cet esprit, un nouveau journal du Théâtre de la Ville sera publié chaque trimestre, comme l’ont fait avant moi Jean Mercure et Gérard Violette. Ce journal offrira une plateforme pour débattre, questionner et partager les œuvres d’hier et d’aujourd’hui, aussi bien dans les domaines artistiques que scientifiques. Il proposera des articles sur les spectacles, la littérature, les sciences, les sports, la dramaturgie, la poésie et, bien sûr, sur les projets que nous menons.

Nous réinventerons les 18 h 30, pour des rencontres artistiques, des découvertes et des débats ouverts à tous. Une heure à passer ensemble pour un théâtre du devenir.

Et aujourd’hui, alors que la navigation va reprendre dans un vaisseau réinventé, je voudrais revenir à Shakespeare et à la réplique qui lance la scène de théâtre dans le théâtre de Peine d’amour perdue, premier spectacle que notre compagnie ait présenté au Théâtre de la Ville :

La nef est à la voile, voici qu’elle prend le large !


Emmanuel Demarcy-Mota, juin 2023