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Avec ses quatre Victoires de la musique, le rappeur Abd Al Malik n’appartient pas à la filière théâtrale la plus classique. Sans doute est-ce pour cela qu’il n’est pas seulement artiste associé du Théâtre de la Ville pour la saison de son cinquantenaire : il est en l’Ambassadeur – un terme qui tisse la consubstantialité et l’extraterritorialité, l’exemplarité et la fidélité…

Très concrètement, dit-il, «je participe à la programmation tout au long de l’année, j’apporte une vision un peu singulière, un peu décalée, je participe à développer un autre rapport au public dans une démarche où l’on revivifie en-semble l’ici et le maintenant, où le théâtre est miroir d’hu-manité, dialogue véritable. » Abd Al Malik n’a jamais caché l’ampleur de l’énergie qu’il puise chez Albert Camus, immense choc littéraire, philosophique et existentiel de son adolescence, tout comme il avoue aujourd’hui sa proximité avec la pensée d’Édouard Glissant sur l’identité et son rapport au monde – « Je suis noir, je suis musulman, mes parents sont originaires du Congo Brazzaville, je suis né à Paris, j’ai grandi à Strasbourg, je me sens profondément français et européen, mes racines sont africaines. À partir de là, ce qui m’intéresse in fine est de faire peuple. » Le parcours d’Abd Al Malik semble tout entier une métaphore sur ce que ce dernier mot, de plus en plus, signifie : scolarité dans un collège privé catholique en même temps qu’il fraye avec les tentations délinquantes d’une banlieue ordinairement sinistrée ; détour par le fondamentalisme musulman en même temps qu’il aborde le rap ; une quête spirituelle qui le mène au soufisme en même temps que sa plume se pacifie… Son parcours est sidérant d’audace et de pertinence à partir de l’album Le Face à face des cœurs en 2004. Son rap clame ouvertement un besoin de paix, de république, de conscience. D’album en album (Gibraltar, Dante, Château Rouge, Scarifications), on le voit collaborer avec Gérard Jouannest – le pianiste et compositeur de Brel et Gréco –, citer Aimé Césaire, rapper en alsacien, reprendre Nougaro… En 2005, son livre Qu’Allah bénisse la France est une autobiographie militant pour la tolérance et l’intégration, qu’il va transcrire en fiction pour sa première réalisation au cinéma, en 2014. Abd Al Malik ose une hybridation inédite avec Camus, l’art et la révolte, spectacle mêlant méditation littéraire, hip-hop, récit autobiographique et réflexion politique. La promotion l’amène à croiser Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville, qui crée alors sa mise en scène de L’État de siège. « Coup de foudre fraternel autour d’Albert Camus. » La discussion se prolonge, une nuit, à la sortie d’un spectacle aux Abbesses. « Nous nous interrogeons sur la place de l’art et du théâtre en termes d’implication concrète dans la crise du rapport à l’autre qui secoue le monde – migrants, populismes… On se quitte à 3 ou 4 heures du matin en décidant que l’on va travailler ensemble autour des cinquante ans du Théâtre de la Ville.» Il y voit encore un symbole, cinquante ans après des concerts historiques de son amie Juliette Gréco, à l’ouverture du Théâtre de la Ville : « Cela fait véritablement sens, puisque mon mantra est de préserver le patrimoine et de cultiver la modernité. » Tout ensemble, l’exigence d’une radicalité partagée, l’attentive écoute du monde, la quête du singulier universel…

Bertrand Dicale