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A L’OCCASION DE LA REPRISE EXCEPTIONNELLE DE JUNGLE BOOK, RETOUR EN ARRIÈRE AVEC ROBERT WILSON SUR LA GENÈSE DE LA CRÉATION D’UN LIVRE DE LA JUNGLE POUR TOUS LES ÂGES DE LA VIE, À L’INVITATION DU THÉÂTRE DE LA VILLE.

Quelle était l’idée de départ, lorsque le Théâtre de la Ville vous a lancé cette invitation à créer Le Livre de la Jungle ?
L’invitation d’Emmanuel Demarcy-Mota était que je crée un spectacle, qui s’adresse à tous les publics. Mon idée était alors de penser un spectacle musical qui s’adresse à tous les âges, même si pour moi une grande œuvre se suffit à elle-même et peut être tout autant appréciée par un enfant que par une personne âgée, par quelqu’un qui n’est pas allé à l’école et par quelqu’un qui a fait des études supérieures. J’ai toujours aimé la réponse de Gertrude Stein quand on lui demandait ce qu’elle pensait de l’art moderne : « j’aime le regarder », disait-elle.

Jungle Book, tout en visant un large public, semble se rattacher à des thèmes fréquents dans votre œuvre, comme la quête du père, ou de la mère comme c’est le cas ici avec Mowgli. Quel lien pouvez-vous faire ?
Un artiste a beau avoir ses propres thèmes et variations, son œuvre demeure le même arbre. J’ai fait des spectacles très différents les uns des autres, mais on ne doit pas avoir peur de se répéter car c’est comme cela qu’on apprend. En ce sens, il est vrai que Jungle Book se situe dans la mouvance de Wings on Rock et de Peter Pan. Cette thématique ne cesse de revenir dans ma carrière.

La musique et les chansons de CocoRosie sont en accord parfait avec le spectacle. C’est un choix que vous avez fait dès le départ ?
D’une certaine manière, j’entendais leur voix avec ce spectacle. Les deux sœurs ont écrit la musique de Peter Pan. Par ailleurs, ce ne sont pas seulement des musiciennes, elles sont aussi plasticiennes. D’un point de vue tant visuel que musical, elles semblent mieux correspondre à ce travail que David Byrne, Philip Glass ou Tom Waits.

Est-ce que Jungle Book est une comédie musicale ?
Les étiquettes sont trompeuses. Selon moi, tout théâtre est musique et tout théâtre est danse. C’est ce que signale le mot opéra. Il contient tous les arts, il rassemble tout : architecture, peinture, musique, poésie, danse, lumière… J’ai du mal à séparer les choses. Souvent, une pièce de théâtre se morcelle parce qu’elle est cloisonnée et que le décor, le jeu, le chant, la danse y sont traités comme des entités distinctes. Pour moi, cela forme un tout.

Comment avez-vous choisi les jeunes actrices et acteurs réunis aujourd’hui pour former cette troupe de Jungle Book ?
Dans tous mes premiers spectacles, les interprètes étaient des non professionnels. Petit à petit, j’ai introduit des artistes qualifiés, des chanteurs ou des danseurs, mais à l’époque je ne cherchais pas de virtuoses capables de retomber sur pointes après un saut. Ce qui m’intéressait, c’était la personnalité des gens avec lesquels je travaillais. J’ai toujours pensé que quiconque se sent bien dans sa peau peut monter sur scène et jouer dans un de mes spectacles. Pour la distribution de Jungle Book, nous avons, avec l’équipe du Théâtre de la Ville, privilégié la diversité et la complémentarité des interprètes comme s’il s’agissait de fonder une nouvelle famille.

Vos spectacles sont traversés par un immense bestiaire – on a vu des tortues, des lions, des oiseaux, des ours, sans parler de dinosaures – et il y a bien sûr beaucoup d’animaux dans Le Livre de la jungle ? Qu’est-ce qui vous intéresse chez eux ?
Mon travail est plus étroitement lié au comportement animal qu’à n’importe quelle école de jeu. Quand un ours vous regarde, il écoute avec ses yeux, avec son corps. Quand un chien se rapproche d’un oiseau, il n’écoute pas seulement avec ses oreilles, mais c’est tout son corps qui écoute. C’est le point de départ du Regard du sourd. J’ai construit ce spectacle avec un jeune homme sourd-muet qui s’appelait Raymond Andrews. Il a emménagé chez moi. Un soir où il se tenait à un bout de mon loft, à vingt-cinq mètres de distance, j’ai hurlé son nom dans sa direction sans qu’il réagisse. J’ai alors crié en reproduisant le genre de son que fait un sourd et il s’est retourné en riant. Son corps connaissait mieux les vibrations sonores d’un « sourd », il les sentait. Ce n’était pas son tympan qui lui permettait d’entendre, puisqu’il n’entendait rien en deçà de 120 décibels ; c’était son corps. Kleist pensait qu’un bon acteur ressemble à un ours: « il ne va jamais frapper en premier, il attend qu’on fasse un geste. »

Y a-t-il de l’espoir à la fin du Jungle Book, alors que Mowgli a été rejeté par les loups et chassé à la fois de la jungle et du village des humains ?
Tout ce que je sais, c’est qu’il ne faut pas faire de théâtre déprimant. Il faut toujours une note d’humour, même à la mort du roi Lear. Si on prend une feuille de papier blanc et qu’on la met à côté d’une feuille de papier noir, le blanc deviendra encore plus blanc. Tout élément doit avoir son contraire. L’enfer et le paradis forment un seul monde, les humains et les animaux forment eux aussi un seul monde.


Propos recueillis par Frédéric Maurin

Théâtre

30 oct.20 nov. 2021

Jungle Book

Robert Wilson, CocoRosie THÉÂTRE MUSICAL / D’APRÈS LE LIVRE DE LA JUNGLE DE RUDYARD KIPLING / UNE CRÉATION DU THÉÂTRE DE LA VILLE