L’art du Pain selon Jean- Daniel Broussé

Vous venez d’Arthez-de-Béarn dans le Sud- Ouest que vous avez quitté pour Londres, où vous êtes devenu circassien, acteur et danseur, rompant ainsi avec votre milieu familial. Quel est aujourd’hui votre rapport à cet univers ?
JEAN-DANIEL BROUSSÉ : Quand je suis parti vivre à Londres, tout le monde a été surpris. Mes parents avaient tout fait pour m’ancrer dans la région. J’ai fait ma scolarité dans une école occitane, j’ai appris les chants et danses traditionnels. Mais j’ai toujours été très intéressé par les milieux artistiques contemporains, de toutes les disciplines. J’avais aussi besoin de vivre quelque part où on n’a pas besoin de s’excuser d’être gay. Cette petite boulangerie familiale à la campagne, où j’ai passé mon enfance et appris à faire du pain a tout d’un fantasme bucolique. Y retourner c’est prendre conscience de la relation compliquée de tout transfuge avec son milieu d’origine. L’écrivain Didier Eribon le décrit très bien dans son roman Retour à Reims. Dans mon spectacle il y a beaucoup de ce besoin de partir et de la nostalgie, voire de la peine, qu’on garde au fond de soi. Aussi, (Le/The) Pain nous interroge sur ce que nous allons garder ou laisser de notre vie et de nos expériences.
Votre refus de reprendre la boulangerie de vos parents signifie-t-il une rupture totale ou avez-vous des frères ou soeurs qui poursuivent la tradition familiale ?
J.-D. B. : J’ai deux soeurs, mais la vision familiale est très patriarcale. Les femmes ne sont pas destinées à ce rôle-là. Mon père aussi avait deux soeurs et c’est lui qui a repris la boulangerie. Comme mon grand-père qui avait deux soeurs lui aussi ! Mais le monde a changé et j’ai besoin de m’inscrire dans le monde actuel. Mon père a vendu la boulangerie et la rupture est totale. À Londres, je voulais me former pour devenir journaliste, et suis tombé sur une école de cirque où j’ai tenté l’examen d’entrée sans croire en ma chance. J’ai été accepté. Par la suite, j’ai créé un duo avec une acrobate voltigeuse et j’ai rencontré le chorégraphe Ben Duke qui m’a invité à participer à plusieurs de ses créations, dont Ruination, présenté au Théâtre de la Ville en janvier dernier. La presse anglaise a comparé la composition de (Le/The) Pain à une recette de production de pain à partir de multiples ingrédients.
Le pain est-il le véritable levain de votre spectacle ?
J.-D. B. : Je savais qu’en m’attaquant au pain, je touchais à un objet de tradition et de foi, symbole à la fois universel et intime qui s’inscrit dans l’inconscient collectif. Je voulais le déconstruire, détourner, célébrer… J’avoue que je dois tricher sur la fermentation puisque le pain doit être cuit à la fin de la représentation. La baguette impose sa loi, puisqu’une fois la farine et l’eau mélangées, aucun retour au point de départ n’est possible, exactement comme avec tout ce qui s’est mélangé en moi et m’a construit en me faisant aimer le cinéma, le théâtre, la danse… J’ai donc besoin d’associer ici plusieurs ingrédients, comme en faisant du pain.
En France, nous ne connaissons pas votre metteuse en scène Ursula Martinez. Qui est-elle ?
J.-D. B. : Ursula travaille à la croisée du cabaret, du théâtre et de la performance. Connue dans le monde anglo-saxon pour Hanky Panky, un numéro de cabaret subversif devenu culte, Ursula Martinez mêle autobiographie et provocation, explorant l’identité et l’intimité à travers le corps. J’ai découvert sa pratique grâce à Triple Threat de Lucy McCormick, dont elle a signé la mise en scène – un spectacle qui m’a profondément marqué. L’inviter à collaborer sur ce projet m’a paru une évidence.
Propos recueillis par Thomas Hahn