Les auteurs s’adaptent
Plusieurs adaptations de roman sont à l’affiche du Théâtre de la Ville dans le Parcours Enfance & Jeunesse : La Naissance de l’écriture d’après La Première Lettre de Rudyard Kipling, La Mécanique du hasard adapté du roman Le Passage de Louis Sachar ou encore Verte de Marie Desplechin. Une occasion d’évoquer le passage de l’écrit à la scène.
Un texte dramatique comporte une marge sciemment ménagée par l’auteur pour qu’un metteur en scène soit libre de l’investir. Les œuvres narratives sont conçues de façon à contenir et ouvrir à elles seules tout un univers par leur simple lecture. Aussi, amener à la scène un texte non théâtral, et particulièrement un roman, induit toujours un niveau supplémentaire d’appropriation.
Dès avant d’ordonner les signes scéniques qui accompagneront le texte pour constituer un spectacle – c’est-à-dire de mettre en scène –, l’adaptateur oriente l’œuvre dont il se saisit ; par exemple, en lui donnant un nouveau titre (La Mécanique du hasard pour Le Passage de Louis Sachar, ou La Naissance de l’écriture pour La Première Lettre de Rudyard Kipling) ou en la réécrivant (comme l’ont également fait Richard Demarcy et Catherine Verlaguet pour ces deux spectacles). Qu’on n’en considère que des extraits ou qu’on en évoque librement l’intégralité, qu’on en conserve la chronologie ou qu’on en réinvente la structure, s’emparer d’un roman pour le porter au théâtre, c’est livrer à des spectateurs, en plus des images et des situations dont l’œuvre regorge, le rapport personnel qu’on a entretenu avec elle pendant sa lecture solitaire.
Le geste du metteur en scène, lorsqu’il adapte un récit, s’augmente donc de focalisations sur un aspect, un personnage, une idée qui l’aura frappé. Dans les deux cas cités ici, le caractère de conte est central, par exemple. Or, si la nouvelle de Kipling relève de ce genre, dans le roman de Sachar les aventures qui foisonnent pourraient être incarnées. Le parti narratif que prend Olivier Letellier décale donc l’œuvre pour la regarder sous un angle singulier. De même, l’actualisation opérée par Nicolas Le Bossé et Richard Demarcy fait sonner l’histoire de façon inédite.
Quand il accueille le roman, le théâtre est le lieu où ouvrir le livre à plusieurs, la boîte magique où faire apparaître les personnages qui en peuplent les pages, le foyer autour duquel s’asseoir pour écouter quelqu’un donner, avec les mots d’un autre, sa propre vision du monde.
Marion Canelas
photo Dmitry Ratushny