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À l’occasion des « Traversées polonaises » de Michelle Kokosowski au Théâtre de la Ville-Les Abbesses, retour sur le parcours fascinant de cette femme qui a côtoyé Grotowski, Kantor et Rząsa, et qui continue de transmettre son savoir et sa passion du théâtre aux nouvelles générations.

Où commence et où finit Michelle Kokosowski ? Personne ne sait. On se perd en conjectures. Elle semble venir de Pologne ou bien d’Israël, mais on la signale en Colombie voire au Japon. Elle a beau clore ses différentes vies, elle renaît toujours. Ailleurs, autrement. On n’en finit jamais avec cette dame en noir qui aura passé sa vie à hanter les théâtres. Côté salle et coulisses. Côté ombre. Avignon, grâce à « chéri mon ange » Stanislas Nordey, l’a vue passer brièvement côté lumières. Le temps de l’hommage qui lui fut justement rendu, durant lequel elle-même rendit hommage à ceux dont elle a partagé l’amitié et accompagné le parcours artistique.

[…] Qu’est-ce que le métier de cette femme dotée d’une tonitruante voix d’outre-tombe ? Personne ne saurait le circonscrire. C’est une femme impressionnante qui, par les vertus conjuguées de son autorité naturelle, sa voix martiale et son exquise familiarité, met dans sa poche tous les serveurs, femmes de chambre, cuisiniers et maîtres d’hôtel du monde entier. Elle tutoie l’être humain comme une chatte lèche ses petits. Elle sait se faire ouvrir une porte réputée inviolable ou obtenir sur-le-champ le portable d’une sommité injoignable. Au temps du mythique festival de Nancy créé par Jack Lang, elle fut l’une de ses têtes chercheuses. Partant au bout du monde dénicher des inconnus qui deviendront bientôt des célébrités. « Lorsque j’ai vu le travail de Jerzy Grotowski, j’ai été foudroyée », se souvient-elle. La foudre lui tombera dessus une nouvelle fois en Pologne avec Tadeusz Kantor. Bien des années plus tard, elle allait devenir un professeur atypique qui enseigne les secrets de l’art théâtral à Paris 8. Tous ses anciens élèves forment un cercle de feu. Il lui arrive d’en convoquer certains au pied levé. Ils accourent. Ses désirs sont des ordres.

[…] Fondamentalement, biologiquement, Michelle Kokosowski est d’abord, hier comme aujourd’hui, une formidable entremetteuse. Une go-betweeneuse first class. Une grande prêtresse de la « transmission », mot souvent galvaudé qu’elle écrit en lettres d’or. […] Sa vie de femme mariée avec le théâtre est ponctuée de « grands maîtres » dont elle a été à la fois l’élève ou la spectatrice, la servante, la confidente et, avant tout et pour toujours, la passeuse. L’une de ses plus belles aventures fut celle de l’Académie expérimentale des théâtres qu’elle a créée en 1990 […]. Douze ans de cadences infernales allaient suivre. La première « action » se déroula à Cracovie, autour de Kantor. De Luca Ronconi à Judith Malina et Anatoli Vassiliev, de Klaus Michael Grüber à Claude Régy, rares sont les grands metteurs en scène européens qui ne passèrent pas un jour par l’Académie, le temps d’un « atelier », d’une « œuvre à questionner ». Les auteurs vivants furent aussi honorés sans attendre leur disparition comme Heiner Müller ou Armand Gatti.

[…] Grands maîtres, grands auteurs mais aussi la ménagerie des bêtes de scène. Une photo de Maria Casarès se tient en bonne place dans le bureau de Koko et l’on est frappé par l’air de famille qui circule entre ces deux irréductibles au front effronté. Au milieu d’autres photos, règne la figure adorée et justement sublimée de Jerzy Grotowski, pour lequel Michelle Kokosowski fut à la fois une fille et une fée. Cela seul aurait suffi à justifier l’Académie. Il y eut, en regard, cette formidable écoute des « nouvelles générations » dont fit partie Stanislas Nordey, cette inlassable volonté de créer des liens entre jeunes et anciens. « Ces maîtres de l’extrême que sont Grotowski, Kantor ou Patte n’avaient aucune pédagogie, il fallait être là et regarder », souligne-t-elle. Et veiller à ce que les rafraîchissements soient servis en temps voulu. Car la convivialité fut un des secrets de l’Académie. On s’y sentait bien. On ne savait pas toujours ce qu’on foutait là, mais on comprenait plus tard. La rencontre valait autant par les échos qu’elle engendrait.

[…] Depuis la fermeture de l’Académie en 2001, Michelle Kokosowski ne s’est pas repliée dans son antre parisien pour écrire ses mémoires. Elle a continué à accompagner les grands maîtres, à suivre le parcours des « jeunes générations ». L’arrivée de Grotowski au Collège de France, l’héritage de Kantor, les déboires de Vassiliev en Russie et son refuge en France, le rôle qu’elle joue auprès du Japonais Bando Tamasaburo, élevé dans son pays au rang de trésor national vivant. […] Et ainsi de suite. Dernières « actions » en date de l’entremetteuse : son rôle décisif dans la publication en langue française des œuvres de Tadeusz Kantor et de Jerzy Grotowski.

Jean-Pierre Thibaudat

Rencontres

27 oct. 2025

Traversées polonaises de Michelle Kokosowski Jerzy Grotowski, Antoni Rząsa, Tadeusz Kantor

Avec Michelle Kokosowski, Mario Biagini, Stanislas Nordey, Jean-Pierre Thibaudat et Marie-Thérèse Vido-Rzewuska