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En adaptant Retour à Reims et grâce au dispositif de doublage d’Un documentaire, Thomas Ostermeier interroge les rapports entre biographie, art et représentation sociale – dans sa vie personnelle, comme celle de ses interprètes – et par ce biais l’histoire récente de la politique européenne, de la disparition de la gauche à la montée des populismes.

Il y a des livres qui, plus que d’autres, rencontrent leur époque. En découvrant l’essai de Didier Eribon lors de sa publication en traduction allemande, Thomas Ostermeier a aussitôt été saisi par la portée du livre. « Non seulement je trouvais que le sujet était intéressant, mais ça parlait de choses que j’ai connues moi-même. Je viens d’une famille pauvre : mon père était soldat, mais d’un rang très bas, ma mère était vendeuse dans un supermarché. C’était un milieu où chaque sou comptait. Comme Didier Eribon, j’ai vécu cette rupture avec ma famille. Et, comme lui, une fois arrivé dans une grande ville, j’ai dissimulé mes origines. J’avais honte de venir d’un milieu social inférieur. »

Mais l’intérêt de Thomas Ostermeier pour le livre va au-delà de cette question personnelle, même si elle a son importance bien sûr. L’analyse que fait Didier Eribon, en l’observant dans une certaine mesure de l’intérieur, de la montée de l’extrême droite renvoie directement à ce qui se passe aujourd’hui en Europe et même dans le reste du monde où, un peu partout, le populisme ne cesse de progresser. Alors même si transposer un essai sociologique sur une scène de théâtre n’a rien d’évident, Thomas Ostermeier a pensé que les questions soulevées par le livre justifiaient amplement de faire l’objet d’un spectacle. « Pour moi, le fait que Retour à Reims conjugue cette double dimension à la fois analytique et biographique a été un facteur décisif. L’analyse est renforcée par le fait que tout ce que décrit l’auteur est vécu. Depuis quelque temps, je cherche à aborder dans mes spectacles cette question de la montée de l’extrême droite et de l’échec de la gauche. Or ce livre constitue un matériau idéal pour parler de ce problème. »

Il n’en reste pas moins que donner corps dans l’espace de la scène à ce qui se joue dans le livre oblige à trouver des solutions dramaturgiques adéquates. Thomas Ostermeier pense alors à un film : «Je ne voyais pas comment transposer un tel texte en étant crédible autrement que sous la forme d’un documentaire. On est donc allés plusieurs fois à Reims avec Didier Eribon. La première fois sans caméra pour faire connaissance avec sa mère ; mais aussi pour faire des repérages. Ça a été une expérience très touchante, très forte et profonde de réaliser ce film».

Les images tournées à Reims accompagnées d’archives filmées sur mai 68, l’élection de François Mitterrand en 1981 et plus généralement l’histoire de la gauche en France, ne sont cependant qu’un élément du spectacle. Car cette partie documentaire est elle-même mise en scène, l’espace du plateau consistant en un studio où une actrice est en train d’enregistrer le texte accompagnant le film en présence du réalisateur.

Dans la première version du spectacle créé en anglais puis en allemand avec la comédienne Nina Hoss, un désaccord oppose l’actrice et le réalisateur sur la façon dont le film doit être monté et plus largement sur la façon de s’adresser au public. « Ce qui les oppose c’est la question de comment faire un film qui soit à la fois juste et engagé politiquement, mais qui en même temps puisse toucher le plus grand nombre. Cela renvoie à la question plus générale de comment on s’adresse aux gens dans une époque dominée par le populisme. C’est une question à la fois politique et esthétique. Est-ce qu’on doit rester dans sa bulle ou ne faut-il pas au contraire s’efforcer par tous les moyens de parler directement aux gens ? C’est pour ça que j’ai absolument voulu faire une version française de ce spectacle, avec l’actrice Irène Jacob cette fois, parce que je pense qu’il est important de toucher le plus grand nombre de personnes. Je veux que ce soit le plus accessible possible. Pour cela il faut qu’une actrice française parle. Au fond, je vois ce spectacle comme un débat ou comme le moyen d’alimenter un débat sur la situation actuelle. Comment en est-on arrivés à cet échec de la gauche et à cette poussée irrésistible de l’extrême droite ? Que fait notre génération face à ce phénomène qui gangrène l’Europe ? J’ai été particulièrement frappé par la façon dont toutes les personnes qui ont lu Retour à Reims que j’ai pu rencontrer ont été profondément stimulées par ce livre. Comment cela les a amenées à réfléchir sur leur propre histoire familiale, leurs origines, mais aussi sur ce qui se passe aujourd’hui en Europe. Le spectacle a tourné au Royaume-Uni, mais aussi à New York et bien sûr en Allemagne ; à chaque fois il a suscité beaucoup de débats et de réflexions chez les politiques mais aussi dans la jeunesse. C’est pour cette raison que je crois beaucoup à la capacité de ce spectacle à alimenter notre réflexion sur ce qui se passe aujourd’hui et à nous demander comment répondre à cette montée du populisme. »

Propos recueillis par Hugues Le Tanneur

Thomas Ostermeier et Didier Eribon © Mathilda Olmi / Théâtre Vidy-Lausanne
Retour à Reims Image tirée du film ©Thomas Ostermeier / Sébastien Dupouey

Théâtre

11 janv.16 févr. 2019

Retour à Reims

Didier Eribon, Thomas Ostermeier