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Confinement après confinement, les spectacles ont été annulés les uns après les autres, privant artistes et spectateurs de ces rencontres, peut être minoritaires mais essentielles, pour convoquer le monde et libérer les imaginaires. Comme tous les théâtres et festivals arrêtés en raison de la pandémie, le Théâtre de la Ville a dû fermer ses portes au public. Emmanuel Demarcy-Mota, directeur, ne s’est pas résigné. Avec toutes les équipes et artistes programmés, ils ont imaginé du théâtre, de la musique, de la danse autrement.

Près de 14 000 personnes depuis le printemps 2020 se sont ainsi inscrites pour prendre part à une Consultation poétique, et à l’autre bout de ce fil invisible, entendre un.e comédien.ne, pour dire le poème qu’une discussion a inspiré. Et puis, on est passé à la vitesse supérieure. Entre deux déconfinements / reconfinements, avec les précautions sanitaires d’usage, avec masques et gel hydroalcoolique à portée de main, après les jauges minuscules, les artistes sont allés dans les écoles, les hôpitaux, les centres d’accueil, les foyers d’urgence, non pour prêcher la bonne parole mais pour retrouver un peu de cette humanité perdue.

En partenariat avec la Ville de Paris, l’APHP, le rectorat de Paris, ils ont mis leur énergie à retisser du lien, passant des Consultations poétiques, dansées, musicales a des formes artistiques partagées et réinventées à chaque occasion, pour aller au-devant d’un public fragilisé, précarisé, toujours plus empêché pendant cette période des vacances de Noël qu’ils ont voulu solidaires. Du 19 décembre au 3 janvier, la Troupe de l’imaginaire et les danseurs de la Hofesh Shechter Company sont intervenus 38 fois dans 17 lieux différents à Paris. *

Voici quelques instantanés des actions poétiques du Noël solidaire, quelques jours après avoir tourné la page de cette année passée, pour ouvrir un autre chapitre de cette histoire.

Lundi 28 décembre, école élémentaire, avenue de Bouvines, non loin de la place de la Nation. En rang d'oignons, du plus petits au plus grands, tous masqués et joyeux, les gamins trépignent d’impatience plus qu’ils se bousculent dans l’étroit couloir, avant de grimper quatre à quatre les trois étages où les attendent, tout en haut, des poètes-médecins.

Répartis en quatre groupes, qu’ils aient 6 ans ou 10, qu’ils s’appellent Jasmine, Titouan, Maxane ou Aliou, tous vont s'immerger dans ces ateliers poétiques où les mots, comme par magie, vont tresser des impromptus poétiques. A leurs côtés, comédiennes et comédiens en blouse blanche, prescrivent des ordonnances poétiques comme autant de sauf-conduits vers l’imaginaire. Certains enfouissent leur visage dans les mains pour mieux écouter un poème murmuré par un.e des comédien.ne.s. Les plus petits tricotent des mots choisis, des mots qu’ils aiment, “par-dessus tout”: banane, kiwi, hibou, rose mais surtout pas voiture, crevette ou chair de poule qu’ils “détestent”! Les enfants (d)écrivent leurs rêves, à voix haute, “voler, avoir un super pouvoir, être une licorne, une fée”. Sur les tables, des feuilles et des feutres de couleurs pour dessiner des poèmes où l’on “mange des bonbons aux joujoux”. Dans des grands classeurs, des dizaines de poèmes glissés dans leur pochette s’échappent pour des “poses poétiques”.

Lus à voix haute, les enfants sont invités à réagir. Quand l’un imagine “un ciel de nuages comme des yeux qui regardent la terre”, un autre “ne pense à rien… c’était noir”. Chez les plus grands, on se lance dans un cadavre exquis où “un loup rêve de forêt amazonienne” jusqu’à “se jeter dans le feu”. Pas de happy end. Les contes cruels de la jeunesse transgressent l’idée même de la mort. Chez les plus petits, “des lunes-bananes jaune fluo” surplombent une “planète magique” où poussent “des arbres-sucettes multicolores”. Ce serait ça, “la planète des enfants, la planète du bonheur”. A la toute fin, les enfants vont lire devant leurs camarades les poèmes qu’ils ont écrit. Applaudissements, saluts. Chacun d’eux repart avec son “ordonnance poétique”: “lire ce poème à voix haute quand vous voulez”. Laissons la conclusion à Jasmine, 8 ans : “ça m’a soigné le cœur quand ils m’ont raconté une poésie”...

Mardi 29 décembre, Permanence sociale rue Gauthey, dans le 17e arrondissement. Les danseurs de la Cie Hofesh Shechter s’échauffent sous les toits de ce bâtiment qui accueille tous les jours, des femmes seules, des familles en déshérence, cabossées d’un peu partout. Corinne est la responsable du service accueil. Vive, gaie, on devine une travailleuse sociale tout à son affaire. La semaine précédente, le centre avait accueilli des conteurs de poèmes et autres histoires. Lorsque par l’entremise de son directeur, on lui a proposé d’accueillir des danseurs, elle n’a pas hésité une seconde. En quelques heures, deux mamans avec leurs enfants - dont un bébé de trois mois - ont accepté de participer à cette rencontre inédite. Lesquels - des danseurs ou des mamans et enfants - sont les plus intimidés ? Et puis soudain la musique jaillit, tribale, métallique et les danseurs, vingt minutes durant, vont donner le meilleur d’eux, danser comme s’ils étaient sur le plateau des Abbesses devant des centaines de spectateurs. Instants magiques partagés par un public qui regarde, religieusement, les corps de ces quatre artistes vibrer, sauter, s’enlacer dans ce maigre espace où les mains frôlent la soupente. “Pour ces femmes, nous explique Corinne, l’accès à la culture est important. Ce genre d’initiative, c’est amener de l’extérieur à l’intérieur. En général, elles viennent voir un travailleur social mais là, on leur propose des instants privilégiés autour d’un poème ou de la danse et il se passe quelque chose”. Que pense-t-elle de l’idée de poursuivre ce genre d’initiative ? “ Ce serait bien. Il nous faudrait réfléchir sous quelle forme, quelle fréquence, quel objectif. Car dans un premier temps, ça peut être étrange, inquiétant pour les familles. Il faut que nous puissions nous réapproprier les choses pour leur expliquer et les rassurer”. Après le spectacle, Marion, Jay, Jill et Jered ont dansé avec les enfants pour glisser comme le ver de terre, marcher à pas de velours comme les chats ou sauter pour toucher les étoiles…

Rémi Poureyron et Nathan Guhl, guitare en bandoulière, embarquent la mini-dizaine de gamins du centre d'hébergement d’urgence (CHU) de Barbès au pays des contes. Allongés sur de vieux canapés confortables, les mômes écoutent ces histoires du monde entier, intemporelles tandis que les bruits de la ville la mettent en sourdine. Pour Rémi, être là, participer à ce Noël solidaire, c’est un instant de partage qui fait “du bien aussi bien aux spectateurs qu’aux artistes. On rencontre un autre public mais les enfants réagissent tous de la même manière. Même quand on les voit distraits, ils entendent tout, saisissent tout le ses sens cachés de ces histoires. Et c’est formidable.” Remi et Nathan devaient présenter leur spectacle “Il était deux voix” au printemps dernier, puis au festival d’Aurillac. Ils ont assisté à l’annulation de toutes leurs dates, les unes après les autres. Quand on leur a proposé de participer à cette opération solidaire, ils n’ont pas hésité : “c’est à cet endroit qu’il fallait être, que nous nous sentons utiles”.

Service de gériatrie de l’Hôpital Charles-Foix, à Ivry-sur-Seine. Julie, comédienne, s’y est rendue à maintes reprises. Elle en garde un souvenir ému, et bien plus. Elle se souvient de son trac, avant, comment s’adresser à des personnes âgées, beaucoup rattrapées par la maladie d'Alzheimer, cette maladie qui efface peu à peu les souvenirs, sa propre histoire au fil des jours qui s’écoulent lentement ? Elle se souvient des équipes, incroyablement motivées et de ces patientes dont le regard, parfois, semblait s’éloigner... L’idée était de partir de mots, de leurs mots qu’elles aimaient.

Josiane, une patiente, m’a parlé de l’amour et de l’oubli. De cette attente avant de refermer définitivement le livre de sa vie. Puis elle a évoqué ses voyages, la Corse, le soleil, son jardin, la mer du Nord. Je l’ai revue le lendemain. La journée après “consultation” lui a paru bien terne mais ça avait réveillé des images, des souvenirs, des odeurs, des couleurs. La poésie, chez ces patientes (majoritairement, ce sont des femmes), réveille cette part d’enfance enfouie au plus profond de leurs souvenirs. Des poèmes appris à l’école, il y a longtemps, au temps où les classes étaient chauffées au poêle à bois ou à mazout. Comme cette patiente qui, soudain, après s’être fâchée furieusement après les infirmières sans qu’on n’en connaisse jamais les raisons, s’est soudain tournée vers Julie et, sans crier gare, lui a murmuré : “Mignonne, allons voir la rose…” “qui ce matin avait déclose” a poursuivi la comédienne devant l’infirmière, médusée. Après ces interventions poétiques, “nous les raccompagnons chacune dans leur chambre ou en salle commune. Nous les appelons par leur prénom alors que le personnel les appelle par leur nom de famille. Ce sont des patientes qui ont des choses à raconter, on leur donne autant qu’elles nous apportent. Ces consultations sont des instants à la fois formidables et nécessaires.

Marie-Jo Sirach


  • à la Halte Femme de l’Hôtel de Ville et aux Centres d'hébergement d'Urgence Go Sport, CHU Marceau, CHU famille Barbès / Parmentier (18e) AMLI. A la Mairie du XVIII + Centres Paris Anim' du 18ème dans le cadre de l'événement "Fêtes Solidaires », aux Centres de loisirs CASPE 11e et 12e arrondissement, CASPE 6-14, CASPE 7-15, CASPE 1-2-3-4, - ESI famille Georgette Agutte (18e), à l’Hôpital Charles Foix d’Ivry-sur-Seine - Services de neurologie et de Gériatrie, dans les Centres d’hébergement et de Réinsertion Sociale Relais des carrières, CHRS Poterne Peupliers, la Permanence Sociale d’Urgence de Gauthey, de Belleville.