Un rire vertigineux

Entretien avec Arnaud Meunier à propos des tribulations de Candide pour saluer l’irrévérence salutaire de Voltaire
« L’épidémie de peste, l’une des catastrophes traversées par Candide dans un monde qui devient fou, nous a fait du moins sourire pendant tout ce temps où, depuis la création du spectacle en 2019, nous avons dû comme tant d’autres en différer la route. Et puisque la distribution a pour partie bougé – certains acteurs n’étant plus disponibles - nous avons revisité certains rôles et cherché à affiner une précision de jeu qui nécessite une irrévérence joyeuse, une ironie mordante, un haut sens de la comédie, tout en préservant la puissance dénonciatrice de la pensée de Voltaire, de son rire et ses blagues. Tout ce que nous jouons est du Voltaire, rien que du Voltaire, et sa langue.
Candide est le troisième classique que je monte en vingt-cinq ans de mise en scène. Lorsqu’on m’offre ce texte illustré par Joann Sfar, j’ai un plaisir d’enfant à redécouvrir comment, prétextant un conte, Voltaire passe au vitriol les travers humains, écrit un texte révolutionnaire au culot incroyable : toutes les religions en prennent pour leur grade, ainsi que le fanatisme religieux, ses atrocités commises soi-disant au nom de Dieu. Voltaire mène aussi la charge contre l’esclavage, contre la violence faite aux femmes. Il s’amusait, dit-on, à jouer lui même son texte, à en incarner toutes les figures en s’accompagnant d’images projetées par une lanterne magique. Son Candide, matière à jouer formidable, me permet de renouer avec le plaisir d’un théâtre-récit très archaïque, celui du conteur sur la place publique, celui de personnages se passant le relais.
La première vague des attentats de 2015 a accéléré ma volonté de monter ce texte dont l’injonction finale - « Il faut cultiver notre jardin », petite phrase quasi pré-écologique qui a fait couler des tonnes de commentaires - réunit dans une pauvre métairie des êtres tous estropiés. Voltaire, je crois, voulait signifier qu’il nous faut, malgré les violences, malgré les mensonges, reconnaître et accepter nos faiblesses, participer à la reconstruction d’une vie commune en fonction des talents de chacun ; et dire un non définitif à l’arrogance des puissants. En ces temps où les divisions de notre société, attisées par les réseaux sociaux, n’ont jamais été aussi fortes, rappelons-nous ce qui nous relie, revisitons notre capacité de vivre ensemble quand bien même nous pensons différemment. Qui de plus éloignés que Pangloss et Martin ?
La raison pour laquelle j’aime le théâtre, c’est qu’on ne le fait jamais tout seul. C’est avec toute une équipe, dont deux acteurs issus du programme Egalité des chances mis en place lorsque je dirigeais la Comédie de Saint-Etienne, que j’ai pensé ce spectacle que j’ai voulu musical, populaire, joyeux, intergénérationnel. Un spectacle un peu manifeste de ce que je souhaite impulser à la MC2 de Grenoble. Ecrivant Candide, Voltaire cherchait à diffuser les idées des Lumières auprès du plus grand nombre. »
Entretien réalisé par Odile Quirot, janvier 2022