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Que ce soit « Le Traitement » de Martin Crimp mis en scène par Rémy Barché, « Pursuit of Happiness » par le Nature Theater of Oklahoma associé à la compagnie de danse EnKnapGroup ou encore « Fore ! » d’Aleshea Harris créé par Arnaud Meunier, ce sont autant de versions éminemment critiques de la réalité contemporaine des États-Unis qui sont ici proposées.

« Nous, Américains, avons perdu de vue la vérité », constate le romancier Richard Ford dans une tribune parue en novembre dernier dans le journal Le Monde. Un an après son élection à la présidence des États- Unis, l’écrivain déplore que Donald Trump ait « gommé la frontière qui sépare ce qui a eu lieu de ce qui n’a pas eu lieu ». En l’occurrence Richard Ford oublie que les fake news sont apparues bien avant l’arrivée de Trump au pouvoir. À commencer par le bobard énorme des « armes de destruction massives » brandi par George Bush Jr pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003 avec les conséquences désastreuses que l’on connaît. Mais ce flottement dévastateur entre vérité et mensonge, réalité et fiction remonte peut-être encore plus loin si l’on en juge la façon dont Martin Crimp rend compte dans sa pièce, « Le Traitement », écrite en 1993 à la suite d’une résidence à New York, des perturbations que cela induit dans les relations humaines. À propos de ce texte, dont il a présenté une mise en scène, Rémy Barché remarque à quel point la question de la vérité associée à celle du langage des protagonistes est tout sauf évidente. « Les personnages mentent beaucoup dans « Le Traitement ». Ils emploient toutes sortes de stratégies d’évitement, que ce soit pour ne pas aborder de front un sujet brûlant, pour dissimuler ce qu’ils ressentent vraiment ou encore pour manipuler l’autre. Mais en dépit de cette attitude, que l’on pourrait qualifier de cynique dans son détachement vis-à-vis des mots que l’on prononce, comme si le langage n’était qu’un artifice, il y a la conscience que, notamment pour ce qui a trait au plus intime, on n’échappe pas au sens. » Cette question du langage est au centre d’une discussion serrée entre Jennifer et Andrew. Producteurs de cinéma, ils vivent en couple, mais Andrew tombe amoureux d’Anne, une jeune femme égarée dont ils exploitent l’histoire personnelle pour en tirer un scénario. Anne raconte comment elle a été séquestrée par son mari. Par moments, Jennifer et Andrew la soupçonnent d’être mythomane. Son récit, à leurs yeux ni tout à fait tangible ni complètement fallacieux, est à l’image de cette pièce à la fois cruelle et traversée d’intenses courants amoureux où le réel – autrement dit la ville de New York personnifiée par Anne –, toujours prompt à se dérober, demeure insaisissable.

« Les americains, matériau idéal d’une analyse de toutes les variantes possibles du monde moderne »

Les Américains « constituent le matériau idéal d’une analyse de toutes les variantes possibles du monde moderne », écrit Jean Baudrillard dans « Amérique ». Ce ne sont pas Pavol Liska et Kelly Copper du Nature Theater of Oklahoma qui le contrediront. Fouillant spectacle après spectacle les poubelles du rêve américain, ils s’associent aujourd’hui avec la compagnie de danse EnKnapGroup que dirige le chorégraphe slovène Iztok Kovač pour donner dans « Pursuit of Happiness » une version comique de la quête du bonheur, un des droits aliénables garantis aux citoyens des États-Unis par la Déclaration d’Indépendance. Évidemment c’est la face obscure, inavouable de cette quête collective et individuelle qu’explore leur spectacle en se demandant quelle frontière sauvage il reste encore à défricher pour, tout comme chez Martin Crimp, aboutir à un film ; en l’occurrence un blockbuster hollywoodien – comme si la fiction était l’unique moyen de donner corps à une réalité incernable. Entre bagarres frénétiques et rêves d’expansion, cette version contemporaine de la conquête de l’Ouest englobe au passage l’Irak quand elle ne découvre pas d’autres espaces inexplorés par le biais d’une redoutable potion magique. Le processus consistant à multiplier les points de vue pour offrir plusieurs versions d’une situation est au cœur de « Fore ! », un texte de la dramaturge afro-américaine Aleshea Harris mis en scène par Arnaud Meunier. Inspirée très librement de l’Orestie, cette « comédie acide », selon les mots du metteur en scène, suit une double piste. D’un côté, il y a le voyage initiatique d’Oreste, un post-adolescent mal dégrossi en rupture avec ses parents ; de l’autre un chef d’État barricadé dans une tour, assiégé par une foule en colère. Si l’on peut voir dans ce second personnage une allusion à l’actuel président des États-Unis, Arnaud Meunier précise que « Fore ! » n’est pas une pièce d’actualité, mais une fable universelle entre rêve et réalité ». Issu d’un processus mêlant improvisations et écriture à partir du plateau, ce spectacle est le fruit d’une collaboration étroite entre le California Institute of Arts de Los Angeles, où il a été répété, et la Comédie de Saint-Étienne. Portée par des acteurs de nationalités diverses, la pièce pose la question, sur fond d’attentats terroristes en 2015 à Paris et de discrimination raciale aux USA, de comment faire société aujourd’hui.

Hugues Le Tanneur

Théâtre

0610 mars 2018

Fore !

Aleshea Harris, Arnaud Meunier

Théâtre

0823 févr. 2018

Le Traitement

Martin Crimp, Rémy Barché précédé de Le Messager de l'amour

Théâtre

1416 févr. 2018

Pursuit of Happiness