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Kubra Khademi est une performeuse, plasticienne, qui place au cœur de sa pratique, sa vie en tant que femme et réfugiée.

Vous créez The Golden Horizon depuis la France mais ne cessez de vous rappeler votre pays. Comment faites-vous le lien entre « le ici et le là-bas » dans votre spectacle ?

La géopolitique influence mon travail. Je ne suis plus dans mon pays. Je suis dehors. Et cette distance me donne la possibilité de regarder mon pays de loin. Évidemment cela crée une sorte de frustration, parce que mon pays n'est pas en paix.
Dans The Golden Horizon, j'essaie de dessiner un autre horizon. Il y a un grand livre sur scène. Dans ce livre, il y a sept chapitres. Je suis devant, et je raconte : le diable qui vient de l’intérieur, les talibans, et le diable qui vient de l’extérieur, les Américains. Et je raconte aussi la révolution souterraine en cours, jusqu’à la libération sexuelle de la femme. L'horizon devient alors brillant, doré…
C’est un horizon absolument féministe. Tout le spectacle est féministe, à part le premier chapitre où je représente ce qui se passe aujourd’hui, où je suis habillée en noir, où tout est sombre. J’y pense l'amour comme extrême opposé de la guerre. Je mets en scène mon corps de femme, celui de la comédienne afghane Fatima Tawakkuli. J’y utilise les poèmes de Hafez et de Rumi mais aussi le poème de la poète contemporaine iranienne Forough Farrokhzad, « Gonah kardam, vali gonahé por lézat » qui dit « j'ai péché, mais un péché avec délice » : c’est un acte de révolution extrêmement radical de la part de la femme.

Vous êtes une artiste en colère, contre la société afghane, mais aussi contre le monde entier…

LE MONDE ENTIER ! Soukouté donia, c’est le silence du monde, qui détourne le regard de l’Afghanistan qui me met en colère. Car les femmes afghanes, elles payent pour tout ! Pour les intérêts géopolitiques dans le monde, les pays qui font la guerre, qui vendent leurs armes, les pays qui ont mis l’Afghanistan à genoux, les femmes afghanes à genoux, en disant « Oh là là, c’était la démocratie pendant 20 ans en Afghanistan ». C’est faux ! Les États-Unis n’ont jamais été là pour sauver les femmes.
C’était une invasion. Quand on a posé la question à Joe Biden sur leur sortie « d’une manière irresponsable », il a répondu : « quand on entre dans un pays, on ne demande jamais l'autorisation quand on sort »... C’est le cas pour l’Afghanistan où ils ont créé les talibans comme ils sont aujourd’hui. Quand ils le veulent, ils se rendent dans un endroit, et ils en sortent parce que leur intérêt n’est plus là. Il est maintenant ailleurs.
On a tellement de femmes en Afghanistan qui se battent underground, qui risquent leur vie en restant là-bas et en œuvrant, en créant des écoles clandestines, mais on ne les connaît pas !
Je veux donner la parole à ces femmes, et voir comment les aider concrètement. Nous ici on est en exil, mais on a la sécurité.

Parlez-nous par exemple des cours d’art à distance pour les femmes, qui ont été mis en place et perdurent à grande échelle.

Nous avons beaucoup de femmes courageuses en Afghanistan. Même après la chute de Kaboul, où les prisons se sont remplies de femmes leaders des manifestations, avec ce slogan « pain, travail, liberté ». On ignore l’Afghanistan, on ne parle pas de ce qui se passe avec les enfants là-bas, des mariages forcés de toutes jeunes filles, de l’esclavage sexuel.
C’est tout cela qui me met en colère. On dit, il ne faut pas parler de la colère. Mais ce n’est pas possible quand on regarde ce qui se passe dans ce pays. Ces femmes qui se battent sans cesse avec leurs familles, le poids du patriarcat, les autres oppressions, celle de la société, la religion, celle de la géopolitique.
Moi-même, je viens de cette génération qui avait soif. Maintenant en Afghanistan, il y a beaucoup de plus jeunes que moi, qui ont encore plus soif que moi ! Plus c’est dur, plus on rêve, plus on a la rage. On n’arrête pas de rêver, on n’arrête pas d'imaginer quelles que soient les difficultés à dépasser. On arrive d’une manière ou une autre à s’en sortir. Évidemment, en payant beaucoup, beaucoup plus que les autres. Mais on y arrive.

Comment peut-on aider justement ce réseau de travail, ces enseignements dans tout l'Afghanistan ?

Il y a un exemple très fort dont il faut parler, celui de Lili* qui a créé un institut clandestin pour les femmes. Elles font de la joaillerie. C’est la première fois que je vois ça dans mon pays. Nous avons des pierres précieuses et des richesses minérales. L’Afghanistan ce sont des siècles et des siècles de tradition joaillière. Nous avons de grands artisans.
Mais aujourd'hui Lili a laissé ces femmes libres de créer ce qu'elles veulent. Hypra innovant ! Un nouveau mouvement esthétique s’est créé dans cette clandestinité. Ces femmes veulent acquérir un savoir-faire, mais aussi chacune est soutien de famille, breadwinners. Elles y gagnent une fierté. Rester elles-mêmes et produire.
Dans ce workshop, il y a aussi des discussions, des débats, des projections. Quand je leur ai parlé la dernière fois, elles projetaient un film sur une grande féministe noire américaine, c’est aussi une révolution underground.

  • Lili participe à la rencontre-débat du 8 mars 2023.

Cela vous donne de l'espoir à distance ?

Évidemment ! C’est énorme ce qui se passe là-bas.
Notre pays est en guerre depuis des décennies. Du coup, qu'est-ce qu’on y trouve ? Des armes. Ce sont les hommes qui les possèdent, particulièrement les talibans. Quand ils exécutent, ils ramassent ensuite les balles. Les femmes peuvent acheter les balles parce que ce n’est pas cher, il y en a partout, et elles les transforment en bijoux. Les hommes font la guerre et les femmes, elles, font de l’art avec les résultats de cette guerre. Elles sont là pour construire alors que les hommes sont là pour détruire.
Ça c’est beau, c'est mon pays, c'est mon pays…
Lili nous donne de nouvelles pistes pour espérer right now ! Moi je veux donner la parole, tendre le micro à ces femmes qui sont là-bas, nos héroïnes.

Propos recueillis par Emmanuel Laurentin et Manoushak Fashahi de France Culture

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