Entretien avec Aurélien Bory à propos de aSH

Questcequetudeviens?, Plexus et aSH forment une trilogie de soli consacrée à trois danseuses d’exception: respectivement Stéphanie Fuster, Kaori Ito et Shantala Shivalingappa. Quels enjeux communs circulent entre ces trois pièces ?
A.B. : Je rythme mon travail en trilogie. J’ai mis dix ans à terminer celle-ci. C’est un cycle lié à la rencontre de trois femmes, marquée par plusieurs coïncidences, et j’ai beaucoup de chance d’avoir pu travailler avec elles. J’ai simplement imaginé ces spectacles comme une offrande. Et puis j’aime la danse, et j’aime qu’elle ne soit pas anonyme. Ces trois femmes sont absolu¬ment uniques. Dans ces trois portraits, je voulais réussir à toucher ce qui fonde leur rapport à la danse et qui reste malgré tout indéfini.
Le dernier opus de la trilogie, aSH, met à l’honneur la danseuse Shantala Shivalingappa. Quelles sont ses singularités d’interprète qui ont animé votre désir de lui dédier ce portrait en particulier ?
A.B. : Tout d’abord, dans la vie de Shantala, tout est danse autour d’elle. Sa mère a été son premier professeur de danse. Son nom contient Shiva, le dieu de la danse. Je dis souvent avec humour que son nom est déjà une danse lorsqu’on le prononce. J’ai vu une vidéo d’elle à six ans danser le Bharata Natyam et c’était quelque chose d’impressionnant. Elle a ensuite rencontré Maurice Béjart lorsqu’elle avait 14 ans et a travaillé avec lui, puis avec Peter Brook, et enfin pendant dix ans avec Pina Bausch qui à mes yeux est la plus grande artiste du XXe siècle. Je l’ai vu danser chez Bartabas, dans la pièce Chimères. C’est encore aujourd’hui son image que je retiens de ce spectacle…
Quel espace de liberté lui avez-vous laissé lors du processus de création ?
A.B. : Pour la danse, nous avons travaillé spontanément et comme un accord tacite, sur le non-écrit. Aucune forme n’a été véritablement fixée, c’était l’esprit de chaque instant que nous cherchions à retrouver. Toutes les pratiques de Shantala sont intervenues, non pas en tant que forme, mais réminiscence de ce qui constitue son expérience de la danse. Au Kuchipudi qui est sa pratique principale, s’ajoutent le Bharata Natyam, et bien sûr la danse contemporaine. Sa pratique quotidienne de la méditation a également eu une très grande influence sur sa danse : elle est très perméable à son environnement et se laisse facilement traverser par « quelque chose ».
Pour aSH, Shantala Shivalingappa a pour partenaire une immense feuille de papier kraft. Comment cet espace est-il né ?
A.B. : Avant le début des répétitions, Shantala m’avait longuement parlé de la vibration qui l’animait, et du rythme qui est pour elle premier dans son travail. J’ai cherché alors un espace qui ne soit que vibration et rythme. Cette grande toile de papier s’est finalement imposée comme une évidence : un réceptacle de vibrations, qui devient le support sur lequel Shantala dessine le monde, et qui se détruit ensuite.
Propos recueillis par Wilson Le Personnic