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Vos pièces prennent toujours racine dans la réalité, dans votre vie personnelle. Comment décririez-vous votre travail ?

MARINA OTERO : Bien que mes pièces soient basées sur ma biographie, il n’y a jamais de pacte de vérité avec le public. Ce qui m’intéresse, c’est le pacte de vérité entre moi et l’oeuvre, et ce que le processus de création va me révéler. Je pars toujours d’un événement ou d’un élément qui me touche personnellement mais je ne sais jamais comment cela va se formaliser ni vers où ma recherche va me mener. Et finalement, qu’est-ce que la réalité, comment et par qui est-elle construite ? J’utilise la réalité pour construire l’oeuvre, et en même temps j’utilise cette même pièce pour transformer la réalité. La véracité de ce que je raconte n’est pas l’enjeu de ce travail. Je préfère transformer cette réalité asphyxiante, forcer ses limites, car c’est dans cet espace diffus que le poétique peut apparaître.


Vous avez créé Fuck Me en partie alitée, suite à une opération. Pourriez-vous retracer l’histoire de cette pièce ?

M. O. : Fuck Me est un projet plus ambitieux que mes précédentes pièces : nous sommes six au plateau et nous sommes une équipe de neuf à voyager en tournée. Cette énergie qui émane de notre collectif n’est pas du tout représentative du processus de création et de l’état dans lequel je me trouvais durant les répétitions. Pendant cette période, j’ai eu plusieurs problèmes de santé qui m’ont rendu incapable de marcher. J’ai été alitée pendant un an jusqu’à ce que je sois opérée de la colonne vertébrale, quelques jours avant la première. Le processus a été très chaotique et éprouvant, pour tout le monde. Durant cette période, je me suis rapprochée d’une réalité que je n’avais jamais vue ou touchée auparavant : la précarité des hôpitaux publics de la province de Buenos Aires. J’ai eu besoin de diriger mon travail loin de cette réalité, je voulais chercher de l’espoir dans cette attente sans fin, imaginer une pièce avec une lumière différente de celle des néons et des murs blancs de l’hôpital. C’est dans ce contexte que j’ai imaginé Fuck Me : dans le sentiment d’impuissance à transformer l’absence, dans l’approche de la mort et de la douleur, et dans l’approche de la foi qui apparaît lorsqu’il n’y a plus rien à faire que de s’abandonner. Pendant cette période difficile, travailler sur cette pièce a été comme un fil de lumière auquel j’ai pu me raccrocher. Fuck Me a été créé dans l’immobilité et la douleur, durant une période où je n’avais presque plus aucun désir, et aujourd’hui, c’est la pièce qui donne le plus de mouvement à ma vie.


Vous avez déclaré considérer « la fiction comme un champ de bataille, pour rendre justice à ce qui n’a pas été fait dans la vie réelle. » Envisagez-vous la création comme un rituel de guérison ou contre le regret ?

M. O. : Je ne crois pas que le travail nous guérit, mais en écrivant, nous nommons, et en cherchant à poétiser la douleur, nous nous distancions ; par conséquent, cette douleur devient plus supportable. J’aime penser que la création est un processus alchimique, même s’il s’agit d’un jeu. Les alchimistes avaient la prétention de fabriquer l’or au moyen des autres métaux. En transposant cette idée d’alchimie à celle de l’œuvre d’art, j’aime à penser que le processus de création peut consister à transformer une vie ordinaire en une vie extraordinaire. J’ai commencé à faire de l’art très jeune, parce qu’il était impossible pour moi de vivre dans la réalité qui m’était proposée. J’ai créé des fictions à partir de la douleur, de l’injustice, de la vengeance, du manque de quelque chose ou du manque de foi. Chaque projet est devenu une sorte de quête spirituelle, j’ai conscience que ça peut sonner un peu New-Age pour mon âge, mais j’aimerais toujours garder cette foi naïve en l’invisible.

Propos recueillis par Wilson le Personnic (extraits)

Danse

0311 nov. 2022

Fuck me

Marina Otero