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Comment vous êtes-vous rencontrés avec Julien Libeer et Alexey Stadler, et jouez-vous souvent ensemble ?

Ronald Van Spaendonck. Notre rencontre date de 2014, au Festival Juventus organisé à Cambrai par Georges Gara. J’ai été lauréat de la première édition, en 1991, aux côtés notamment d’Alexandre Tharaud et Xavier Philips. Julien et Alexey ont été lauréats bien après. J’ai alors eu l’occasion de jouer avec eux, séparément d’abord. Le courant est tout de suite passé, ce sont deux artistes extraordinaires. Le concert du 23 octobre nous réunit pour la première fois tous les trois. Bien qu’appartenant à l’Ensemble Kheops, avec lequel je joue le même répertoire, j’ai accepté de faire une exception, et de me produire avec Julien et Alexey pour le Théâtre de la Ville. C’est aussi un hommage à Juventus, qui a été pour moi un véritable tremplin, sans lequel je ne me serais pas autant épanoui dans mon art.

N. S. Comment qualifieriez-vous l’association clarinette-violoncelle, finalement assez rare dans le répertoire de musique de chambre ?

R. V. S. Les deux instruments sont pour moi très proches de la voix humaine, et leurs timbres si différents se marient extraordinairement. Il n’est pas rare, lorsque je joue avec le violoncelle à l’unisson, que certaines personnes ne distinguent plus les deux instruments. Cette fusion totale est ce que je recherche. Il est plus difficile de marier si bien la clarinette avec un violon ou une flûte. Dans le Trio de Magnus Lindberg, les débuts de phrases où clarinette et violoncelle sont à l’unisson me donnent la chair de poule. Mais comme vous le disiez, le répertoire pour clarinette et violoncelle n’est malheureusement pas très vaste.

N. S. Comment l’expliquez-vous ? Il est vrai que la formation de trio violon-violoncelle-piano est restée reine depuis Haydn au XVIIIe siècle.

R. V. S. En effet, et le XIXe siècle a été assez frileux avec les instruments à vent, tandis que le répertoire pour le piano et le violon, instruments-rois, a explosé. La fin du XIXe siècle et le XXe ont en partie compensé cela, ce qui s’explique notamment par l’amélioration de la facture des instruments à vent, qui a ouvert de nouveaux champs d'investigation aux compositeurs. Mais beaucoup reste à faire. Avis aux compositeurs !

N. S. On remarque que Beethoven comme Brahms ont été inspirés par un clarinettiste spécifique : Joseph Bähr pour le premier, Richard Mühlfeld pour le second. Magnus Lindberg lui-même a composé son Trio, ainsi qu’un Concerto, pour Kari Kriikku. N’est-ce pas frappant ?

R. V. S. La collaboration entre un clarinettiste et un compositeur a souvent suscité l’émergence d’œuvres majeures. On peut citer aussi Anton Stadler dans le cas de Mozart, et Heinrich Joseph Bärmann, qui a inspiré Carl Maria von Weber. De mon côté, j’entretiens depuis près de 35 ans une relation forte avec le compositeur belgo-canadien Michel Lysight, qui a écrit de nombreuses œuvres pour moi.

N. S. Comment qualifieriez-vous l’écriture du Trio « Gassenhauer » de Beethoven ?

R. V. S. Un opus 11 est un opus 11 : c’est une œuvre de jeunesse, qui ne peut prétendre aux places d’honneur dans le catalogue de Beethoven, mais il est tout de même très intéressant. Le thème de son troisième mouvement, « Pria ch’io l’impegno », est issu d’un opéra de Joseph Weigl. Il donne lieu à neuf variations assez brillantes, dont un canon entre le violoncelle et la clarinette d’une finesse remarquable. On trouve aussi la traditionnelle variation en mineur, de caractère tragique.

N. S. Vous avez souvent donné ce Trio de Beethoven. Jouer une œuvre avec différents partenaires amène-t-il nécessairement à changer de regard sur celle-ci, et à faire évoluer son interprétation ?

R. V. S. En général ma vision de l’œuvre reste la même, mais il est indéniable que changer de partenaire exige une certaine flexibilité, parfois même une certaine abnégation. Et heureusement, cela mène le plus souvent à des chemins inexplorés. Je suis toujours à l’écoute des autres, toutes les nouvelles idées sont les bienvenues. De sorte qu’il n’y ait jamais d’interprétation figée : c’est ce qui fait la nécessité des répétitions, et plus généralement la beauté de la musique.

N. S. Le Trio opus 114 de Brahms a souvent été vu comme une préparation à son célèbre Quintette opus 115, avec clarinette également. Et finalement, le Quintette a éclipsé le Trio. Comment définiriez-vous ces partitions l’une par rapport à l’autre ?

R. V. S. Ce sont deux œuvres très différentes, que je n’aborde pas du tout de la même manière. À mes yeux, le Quintette est plus imposant, plus riche en sonorités, en couleurs et en dramaturgie. Il demande à être longuement mûri. Le Trio est plus consonant, plus retenu et économe, et demande moins d’efforts à l’auditeur, de même que les deux Sonates pour clarinette que Brahms a aussi composées.

N. S. La présence d’un compositeur contemporain est-elle fréquente dans vos programmes ?

R. V. S. Je joue volontiers la musique contemporaine. Le langage de certains compositeurs me touche plus particulièrement, bien sûr. J’ai cité Michel Lysight, dont la musique me tient à cœur. Mais il y en a d’autres. J’ai récemment enregistré un disque d’œuvres contemporaines, Leave Me Alone (Minimalist Music for Clarinets), entièrement en re-recording – je joue moi-même toutes les parties de clarinettes simultanées. Il comprend des œuvres de onze compositeurs de notre temps, parmi lesquels Steve Reich, dont je propose ma version du New York Counterpoint.

N. S. Comment décririez-vous le Trio de Magnus Lindberg, et comment comprenez-vous les titres un peu énigmatiques de ses mouvements ?

R. V. S. C’est une œuvre extrêmement technique, dans laquelle Lindberg utilise beaucoup le registre suraigu de la clarinette, ce qui constitue un défi intéressant à relever. Certes, chaque mouvement possède un titre, mais je pense que la musique parle d’elle-même. Celui du premier mouvement, Sound big, Sound, est pour moi le plus révélateur de l’écriture de l’œuvre : nous ne sommes que trois, mais j’ai parfois l’impression de jouer au milieu d’un orchestre symphonique ! Les harmoniques produites par la réunion des trois instruments sont incroyables. Quant au registre suraigu de la clarinette, j’ai tendance à ne pas le jouer aussi fort que le compositeur le demande, sans doute par respect pour mes collègues et pour le public.

N. S. En effet, vous avez déjà déclaré ne pas affectionner particulièrement le registre suraigu de votre instrument. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

R. V. S. La clarinette peut faire très mal aux oreilles si l’on force ses suraigus. Alors je diminue parfois la nuance d’un cran. Cela n’engage que moi... ! Un jour, j’interprétais le Concerto de Copland, qui contient dans son dernier mouvement une note aigue jouée Sforzandissimo. Au premier rang, une pauvre dame a dû se boucher les oreilles ! Ce jour-là, j’ai compris que le public ne payait pas sa place pour se faire percer les tympans (rires). J’invite toujours mes élèves à réaliser un travail de flexibilité d’embouchure afin de gérer parfaitement ce registre suraigu.

N. S. Avez-vous eu l’occasion de travailler avec Magnus Lindberg ? Ou avec Kari Kriikku, pour lequel Lindberg a composé son Trio ainsi que son Concerto pour clarinette ?

R. V. S. Malheureusement non, mais j’ai quand même rencontré Lindberg quelques fois au Festival de musique de chambre de Kuhmo. C’est une personne attachante, en plus d’être l’un des maîtres de la musique contemporaine. Quant à Kari Krikku, c’est un superbe clarinettiste. Sa technique est phénoménale, hors norme, et je comprends qu’il ait inspiré Lindberg. Sans compositeur, pas d’interprète, mais l’inverse est vrai également. L’interprète aide le compositeur à mieux cerner l’instrument, dont en général il ne joue pas.

N. S. Vous avez déjà enregistré le Trio opus 11 de Beethoven. Auriez-vous un projet de disque avec le Trio de Brahms ou celui de Lindberg ?

R. V. S. Rien concernant Lindberg pour l’instant. Mais – je vous livre un scoop ! – bientôt sortira un disque de l’Ensemble Kheops, chez le label Cyprès, avec au programme le Trio de Brahms, celui de Zemlinsky (également avec clarinette), ainsi que le superbe Adagio du Kammerkonzert d’Alban Berg dans sa version réduite par le compositeur, et ses Quatre pièces opus 5 pour clarinette et piano.


Propos recueillis par Nicolas Southon