Festival des Places : porte d’entrée à la danse de Pina Bausch.

Transmettre la NELKEN Line. Entretien avec Julie Anne Stanzak, interprète de Pina Bausch
La Nelken Line a voyagé dans le monde entier. Où l’avez-vous dansée, transmise ?
Oh, partout. En Chine, en Australie, à New York, sur des plages, dans des parcs, dans des cuisines même ! Ce n’est pas qu’une chorégraphie. C’est un moment de lien, un rituel simple. On y danse les saisons – printemps, été, automne, hiver – avec quelques gestes et une marche. Et les gens nous rejoignent.
Il y a une douceur, une joie, un silence aussi. C’est comme si nos corps se souvenaient d’une poésie ancienne. Deux ans après les premières lignes dansées, Salomon [Bausch] m’a dit : « On va en faire un film. » Et ce geste a continué de voyager.
Est-ce que la Nelken Line est une porte d’entrée vers Pina Bausch ?
Oui. C’est une porte très ouverte. Pas besoin d’être danseur. Il suffit de marcher, de faire un geste, et quelque chose s’ouvre. Ce qui me touche, c’est que chacun le fait à sa manière. C’était essentiel pour Pina : la singularité de chacun. Elle ne voulait pas qu’on copie. Elle voulait qu’on soit vrai. Elle nous poussait à aller jusqu’au bout.
Du geste, de l’émotion, de l’élan. Pas pour impressionner, mais pour être sincère.
Elle demandait souvent : Où est l’urgence ? Qu’est-ce qui te touche, là, maintenant ? Cette recherche, on la retrouve dans la Nelken Line.
Dans le film de Wim Wenders, on voit la compagnie faire la Nelken Line sur une ancienne mine. Comment s’est passé ce tournage ?
Ah... ce lieu ! Une ancienne mine de charbon, vaste, nue, sans un arbre. Et nous, là, à dire : « Bientôt, c’est le printemps. » Il n’y avait rien que du sable, du vent, et cette phrase. Ça aurait pu être absurde. Mais non. C’était essentiel. Il y avait quelque chose d’incroyablement humain dans cette marche. Un acte de confiance. Et c’était filmé sans artifice. Juste nous, dans cet espace désertique, avec cette certitude que le monde peut renaître. C’est ça qu’elle nous a laissé : une foi sans naïveté. Un style – parce que Pina, c’était aussi un style – mais au service de l’humanité.
Il y a presque quelque chose de mystique, non ?
Oui, dans le sens d’un ailleurs et d’une grande simplicité : marcher, respirer, sentir la terre sous ses pieds. Le souffle commun. Le silence partagé. C’est peut-être pour ça que les gens se sentent si concernés. Parce que ça parle d’eux, profondément. D’un désir de lien, d’une gratitude pour la vie.
Il y a une part de saudade dans tout ça. Une nostalgie lumineuse... quelque chose qu’on porte tous en soi, je crois.
Vous avez récemment participé à Danse élargie 2024, dans Danse macabre de Pauline Bayard. Comment s’est faite cette rencontre ?
Notre collaboration a commencé avec Rouge que Pauline a créé à partir des 4 Saisons de Vivaldi, de Max Richter et de Artières. J’ai été profondément marquée par cette pièce, où cinq femmes dont moi-même, âgées de 25 à 82 ans, traversent les saisons de la vie. La musique portait nos corps dans une exploration sensorielle du temps qui passe. C’était une expérience puissante, organique, très libre aussi.
C’est à partir de là que s’est noué un lien entre nous. Elle connaissait mon parcours et j'aime chez elle la grande précision et connaissance de son travail. Un jour, elle me propose de participer à Danse Macabre, une pièce courte de sept minutes, inspirée de l’œuvre de Camille Saint-Saëns. Ce projet, présenté lors du concours Danse élargie 2024, explorait la thématique de la mort avec une intensité rare. On a répété dans une grande simplicité. Le groupe était très varié, l’énergie généreuse. Et Pauline a cette capacité rare à aller à l’essentiel. Une sincérité dans le geste, une attention à ce qui est là. Une humanité.
Propos recueillis par Bernardo Haumont