Israel Galván au Festival des Places : “Le vrai public, c’est le dernier maître : il te transforme”

Interview exceptionnelle avec Israel Galván, en écho à l’atelier qu’il anime dimanche 4 mai sur la place du Châtelet. En parallèle, l’artiste prépare à la Coupole du Théâtre de la Ville-Sarah-Bernhardt son nouveau spectacle en collaboration avec lemetteur en scène Mohamed El Khatib.
Quel est le maître qui vous a le plus marqué ?
J'ai eu beaucoup de maîtres de danse qui m'ont profondément marqué, à commencer par ma propre famille. Il y a eu aussi Mario Maya, Manuel Soler... Mais ceux qui m'ont vraiment transformé sont les artistes qui ne dansaient pas. Un danseur te conseille toujours avec les limites du geste et de la technique ; moi, je cherchais à aller plus loin. Dans le monde de la danse, je me sentais parfois à l'étroit.
Les artistes venus d’ailleurs imaginaient d'autres façons de bouger : ce sont eux, en vérité, mes véritables maîtres.
Comment se passe le premier jour d’une nouvelle création : vous entrez dans le studio, et ... ?
Avant d'entrer en studio, j'ai besoin d'avoir un plan en tête, une petite idée d'où commencer. Mais mon but n'est pas de créer une chorégraphie tout de suite : je cherche avant tout à trouver un nouveau corps, une autre manière d’être. Le premier jour est un moment très fragile. Je viens avec une idée, oui, mais je dois accepter de ne plus être moi-même, de devenir "un autre".
On construit quelque chose sans savoir ce que ce sera. À la fin, on crée une sorte de monstre que je ne saurais même pas définir. C’est un moment de grande liberté, une sorte de nettoyage intérieur. Je me débarrasse de ce que je suis pour chercher un personnage neuf. Mon corps libère alors des choses enfouies, que je ne connaissais pas. Et le fait que chaque thème soit différent m'oblige encore davantage à me transformer.
On ne sait jamais à l'avance ce que cela va donner. Ce n’est que devant un vrai public, celui qui a payé sa place, que l'on comprend vraiment ce que l'on a créé. Un public invité, lors d’une générale, n'apporte pas la même tension. Le vrai public, c'est le dernier maître : il te transforme.
Quelle différence voyez-vous entre danser en théâtre et en extérieur, sur une place publique ?
Je n’ai pas beaucoup d’expérience dehors, mais ce que je ressens, c'est qu’en extérieur, la danse doit être aussi fluide que la marche. Il y a tellement d’énergie que l’on doit se libérer d’une grande concentration intérieure, de toute solennité. C’est plus naturel, plus ouvert. Dans la vie, je ne suis pas très sociable, mais lorsqu’il s’agit de créer un lien par la danse, cela devient étonnamment simple.
Quel est le plus important pour vous lorsque vous dansez ou partagez votre pratique ?
J'ai toujours dansé seul. Mais quand je partage, c'est avec des artistes venus d'autres cultures. Akram Khan m'a apporté l’univers du kathak, Marlene Monteiro Freitas sa recherche entre Cap-Vert et Portugal... Ce que j’aime, ce sont ces rencontres avec des personnalités fortes, capables de s'affranchir de leur tradition pourtant très présente.
Avec Mohamed El Khatib, par exemple, ce n’est pas juste un échange : c’est une véritable enquête. Un documentaire dansé, où je raconte, à travers mon geste, pourquoi je danse, d’où je viens.
Avec le public aussi, je partage mon héritage familial : pourquoi je m’appelle Israel, pourquoi je suis ainsi. Ce partage remue beaucoup intérieurement.
Quand avez-vous ressenti le passage au statut de danseur professionnel ?
Très jeune. À quatre ans, je dansais déjà dans les tablaos, ces clubs nocturnes de flamenco. Je passais généralement après mes parents. Les gens riaient, applaudissaient, et, comme le voulait la tradition dans ces lieux, lançaient des billets : bleus, verts... jusqu’au billet lilas que j’attendais particulièrement. À l’époque, je ne connaissais pas la véritable valeur des billets, mais j’avais appris à en reconnaître les couleurs, et j’associais leur nombre au succès de ma prestation.
Il m’arrivait même de recevoir plus de billets que les musiciens eux-mêmes. Très tôt, j’ai ainsi compris que danser pouvait être lié à une certaine valeur, à une forme de reconnaissance. Déjà enfant, cette vision du métier s’est ancrée en moi — et ne m’a jamais quitté.
Propos recueillis et traduits de l’espagnol par Bernardo Haumont