L’art comme célébration : Entretien avec la chorégraphe québécoise Marie Chouinard.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de MAGNIFICAT ? Qu’est-ce qui vous a donné l’élan de chorégraphier le Magnificat de Bach ?
Bach fait partie de ma vie depuis de nombreuses années. En 2005, avec bODY_rEMIX/lesvARIATIONS gOLDBERG, je m’étais approchée des Variations Goldberg, mais à travers un remix, comme si je n’étais pas prête à affronter sa musique dans sa forme pure. Pour Magnificat, réentendre cette oeuvre, l’entendre jusque dans mes cellules, a été l’élan déclencheur. Le Magnificat m’a touchée par son intelligence, sa charge émotionnelle, et par la façon dont Bach donne forme à l’élan de l’annonciation. Je ne suis pas croyante, mais je reconnais la puissance de ce chant, cette joie d’être traversée par quelque chose qui nous dépasse. J’ai simplement senti que le moment était venu d’entrer dans cette musique et de la laisser guider la chorégraphie.
Comment la musique de Bach a-t-elle influencé l’écriture de la chorégraphie ?
J’ai une manière d’entendre où les sons font surgir des couleurs, des sensations corporelles, des espaces intérieurs en mouvement. Ce sont ces intuitions sensibles, ces charges impétueuses et fulgurantes, qui amorcent le travail. Le coeur du processus, c’est la rencontre entre mon écoute et la forme qui commence à émerger. La chorégraphie devient alors une manière de rendre visible ce que la musique déclenche en moi. Henri Michaux : Mouvements a été créé en 2011 à partir des dessins de Michaux.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de cette pièce ?
Henri Michaux : Mouvements est né d’un recueil composé d'un poème et de 64 dessins d’Henri Michaux que j’avais dans ma bibliothèque depuis plus de vingt ans. Pendant longtemps, je l’ai feuilleté sans imaginer qu’il puisse devenir une matière pour la danse. Puis un jour, ma lecture a basculé : ces dessins abstraits, ces taches d’encre, m’ont soudain semblé fonctionner comme une véritable partition chorégraphique. Chaque forme portait une direction, une énergie, une organisation du mouvement que l’on pouvait traduire dans un corps... L’évidence a été immédiate, comme si le livre attendait que je sois prête à reconnaître les mouvements qui y étaient inscrits, à les faire s’incarner dans l’espace.
Comment avez-vous mis en mouvement ces dessins ? Pouvez-vous donner un aperçu du processus de recherche ?
Nous avons procédé de manière très concrète : j’ai travaillé les dessins un par un, dans l’ordre du livre, les danseuses et danseurs étaient habillés entièrement de noir, pour devenir eux-mêmes des taches dans l’espace blanc du studio. Lorsque le dessin était trop complexe pour être rendu par un seul corps, je répartissais la forme entre plusieurs danseuses et danseurs. Pour travailler avec précision, je projetais chaque dessin en très grand sur un mur. Cela nous permettait d’en voir clairement la structure et l’énergie. Peu à peu, en avançant dessin après dessin, la construction de la pièce s’est imposée d’elle-même : la manière d’enchaîner les formes, d’introduire des variations ou de jouer avec les pages blanches. Une fois cette logique trouvée, tout s’est organisé avec une certaine évidence.
Propos recueillis par Wilson Le Personnic
