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Scénographe de Pina Bausch, Peter Pabst construit des décors qui « ne racontent pas d’histoires », qui sont « conçus pour accueillir les danseurs ».

Comment avez-vous rencontré Pina Bausch ?

Rien de bien spectaculaire. Dans les années 80, je travaillais à Bochum avec le metteur en scène Peter Zadek en tant que scénographe et costumier. Peter m’a dit qu’une jeune chorégraphe faisait des choses très étonnantes, extraordinaires, à Wuppertal. Nous y sommes allés et avons assisté à une demi-heure de répétition du « Sacre du printemps ». Cela suffit à Peter pour lui commander un travail sur Shakespeare. Pina a accepté. À l’époque, il n’était pas encore question pour nous de travailler ensemble car son compagnon Rolf Borzik était le scénographe de ses pièces, mais cette proximité fut pour moi l’occasion de passer de longues et très riches soirées à discuter avec elle dans une ambiance très détendue.

C’est un drame qui vous rapproche.

Un grand malheur… la mort de Rolf Borzik. Lui succéder faisait peur à tout le monde. À moi aussi. Mais dans le désastre où elle se trouvait, j’étais très touché de voir comment la troupe des danseurs la soutenait, l’entourait. Ils étaient adorables et s’occupaient magnifiquement d’elle. Elle m’avait fait demander, mais eux aussi m’ont dit : «S’il te plaît, viens… ». Et c’est ainsi qu’en 1980, Pina et moi avons commencé à collaborer sur le spectacle dénommé « 1980 ».

Comment caractériser le processus créatif de Pina Bausch ?

Au départ de chaque création ni Pina ni moi ne savions quelle direction nous allions prendre. C’était une aventure totalement ouverte. Dans un dialogue presque sans paroles, tout se construisait pour moi d’abord sur l’écoute très précise de ce que disait Pina mais aussi à travers les réactions des danseurs et celles, comme toujours, de l’ensemble de l’équipe, du charpentier au ferronnier du théâtre.

Vos scénographies constituent de véritables paysages. Désigner la pièce à voir par l’endroit du rendez-vous donné avec la danse peut aussi sembler très juste.

C’est vrai. Je suis d’ailleurs convaincu qu’un décor ne doit pas raconter d’histoires, mais être créé, en fonction de chaque pièce, comme un monde spécifiquement conçu pour accueillir les danseurs. Mes décors ne sont jamais réalistes, ils ont juste leur propre réalité et fabriquent un rapport de friction entre le réel et la fiction. Un jeu dans lequel Pina aimait à rentrer pour expérimenter la manière dont les danseurs réagissaient aux espaces de mes propositions.

Quelle forme de dialogue se construisait entre vous ?

Je le répète, au départ d’un spectacle de Pina, il n’y a jamais rien, ni un texte ni une musique ni des images. Elle comme moi, nous devions ouvrir des portes pour activer et faire réagir l’imaginaire de l’autre. Supporter de ne pas savoir ce qui va advenir du spectacle et ne jamais désespérer que quelque chose arrive était une règle d’or du travail avec Pina Bausch. Sans réaction positive immédiate de sa part, je concluais que l’idée n’était pas bonne et je n’ai jamais défendu une seule de mes propositions face à elle. Chaque chose arrive à son terme, il faut apprendre à être patient pour s’accorder au rythme de la création, pour en saisir et en révéler les possibles. De 1980 jusqu’à la dernière création de Pina, notre processus créatif n’a jamais varié, il s’agissait d’abord de nous surprendre l’un l’autre. L’acceptation commune de cette prise de risque pouvait nous faire passer par des vallées très profondes de désespoir. Un prix à payer pour, au final, accéder à la plus grande des libertés de faire (rires).

Une collaboration qui a défié l’usure du temps…

Au-delà de l’amour et de l’amitié profonde qui nous liait, rester capable durant 29 années de continuer à sans cesse nous surprendre, est ce qui définit le mieux l’exceptionnel de notre collaboration. Jamais nous ne faisions peser sur l’autre l’immense pression de faire aboutir le spectacle. J’avais toujours honte de lui montrer ce que j’avais fait… Elle, était timide comme une jeune fille pour me présenter la direction que prenait son travail. Confiance et intimité présidaient à cette manière de fonctionner. Personne n’avait le droit d’assister aux répétitions durant le temps de la création. Quand Pina demandait quelque chose à ses danseurs, elle ne les jugeait jamais pour ne pas bloquer ce qui pourrait naître plus tard. Pour ce qui me concerne, c’était pareil… Avec elle, on pouvait tout dire et tout exprimer dans un climat de grande intimité et une confiance totale.

Extrait de l’interview de Peter Pabst par Patrick Sourd Journal N°168 du Théâtre de la Ville