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Quel est le principe de ce spectacle ?
JEAN-MICHEL RIBES : Le principe c’est qu’il n’y a pas de principe. On pourrait comparer le spectacle à une mosaïque d’auteurs extravagants, un hymne au dérapage, une promenade dans la fantaisie. On réduit souvent la « fantaisie » à une forme de grosse rigolade. Mais la fantaisie dont il est question ici est l’arme la plus forte pour se protéger de l’esprit de sérieux. Il y a des textes dont le théâtre public est souvent privé au profit de ce que Jean Dubuffet appelle « l’asphyxiante culture ». Donc ce qu’on tente c’est d’aller, sans vulgarité ni populisme, sur d’autres chemins, d’autres routes… chercher l’inattendu… peut-être une issue de secours.

D’où le titre Un pas de côté… et l’autre aussi ?
J.-M. R : « Un pas de côté, l’autre aussi », parfois on fait une seule chose, un seul geste pour s’écarter de la mode ou de l’opinion commune. Mais ça ne suffit pas toujours : pour cette raison, il est nécessaire de faire un pas contre la doxa, et un deuxième pour s’assurer qu’on a bien changé de route.

La musique joue un rôle important dans ce spectacle. Comment ça fonctionne ? Il y a des parties chantées, des parties instrumentales ?
REINHARDT WAGNER : Il y a effectivement des parties chantées et des parties instrumentales. Le principe que j’ai adopté, c’est de suivre vraiment le texte pour qu’on comprenne bien les mots ; ce qui correspond à un souci constant chez Jean-Michel. Par exemple, il y a une chanson où entre chaque couplet, j’ai mis des silences. Cela permet de mieux comprendre le texte alors que si tout s’enchaîne, c’est moins limpide, et de toute façon les mots ont leur musique propre.

Comment se déroule le spectacle, sachant qu’il est composé de plusieurs textes écrits par des auteurs différents ?
J.-M. R : Ce spectacle fonctionne sur la surprise. Je n’aime pas la psychologie. Quand on sait d’avance qu’untel va quitter son épouse et que leur enfant va devenir alcoolique, c’est sans surprises. C’est pour ça que je suis amoureux des films de Fellini, de Buñuel, de Bertrand Blier, ou du théâtre de Beckett et de Dubillard. Ils se libèrent tous du connu. Je souhaite qu’Un pas de côté… et l’autre aussi soit un théâtre de l’inattendu où la réalité devient surprenante, une sorte de théâtre d’aéroport, on monte dans un avion, ça roule, ça roule, il décolle – mais vers une destination inconnue… Rien de prévu ou de préparer.

Il s’agit de s’alléger, de lâcher du lest par le biais du rire…
R. W. : Oui, Et c’est la même démarche en musique. Moi j’aime bien épurer, aller à l’essentiel. Il y a beaucoup de spectacles musicaux où sitôt que des musiciens sont présents sur scène, c’est l’occasion d’une virtuosité un peu plombante. On confond souvent l’artiste avec le virtuose. Or les effets de manche, on s’en moque. Dans le spectacle, par exemple, il y a une chanson pour laquelle j’ai volontairement écrit une introduction toute simple avec trois notes. Et elle finit avec les mêmes trois notes dans le grave. J’avais commencé par écrire quelque chose de plus compliqué. Et d’un coup, je me suis dit : non, ce qu’il faut là, c’est quelque chose de surprenant. Ce que dit Jean-Michel à propos du texte, je le rejoins entièrement. Pour moi, avec la musique, c’est un peu la même logique.

Reinhardt Wagner, Marie-Christine Orry, Justine Garcia et Ema Haznadar lors des répétitions d’Un pas de côté…et l’autre aussi © Pascal Chantier

Vous n’en êtes pas à votre première collaboration. Comment travaillez-vous ensemble ?
R. W. : Pour ma part quand j’écris une musique, sitôt qu’on m’a donné un texte, il m’appartient. Je suis un littéraire, mais je ne suis pas un écrivain. Mon cerveau fonctionne avec des notes de musique. Donc quand on me donne un texte, je ne change rien.
J.-M. R : Ce n’est pas vrai. Il m’a coupé des phrases.
R. W. : Oui, mais ça ne veut pas dire « changer les mots ». Cela veut dire que pour une raison simple la musique révèle les mots. Un peu comme une photographie apparaît dans un bain de révélateur. Donc je ne change jamais un mot. En revanche je coupe, j’enlève. Parce que très souvent la musique montre une éventuelle redite. Donc je supprime. Après j’en discute toujours avec l’auteur.
J.-M. R : Quelqu’un a dit, je crois, « la mélodie renseigne, mais c’est le rythme qui convainc ».
R. W. : Bien sûr. Il y a des choses qu’on perçoit grâce à la musique. Je parle de percevoir, je ne parle pas de comprendre. J’aime bien l’idée qu’on ne comprenne pas, ou pas entièrement. Je lis beaucoup de poètes que je ne comprends pas, ou pas complètement ; et pourtant quelque chose se passe. Pour moi c’est ça l’essence de la poésie, la perception des choses est supérieure à la compréhension.

Outre vos propres écrits, Jean-Michel, il y a dans le spectacle des textes d’Alexandre Vialatte, Roland Topor, Raymond Queneau, Jean Tardieu, Georges Fourest… Comment s’est fait le choix des auteurs et des œuvres ?
J.-M. R : Il y a beaucoup d’écrivains dont j’ai le sentiment d’appartenir à leur famille. Une famille un peu à part, dont les rejetons certes reconnus ne sont pas suffisamment bien élevés pour qu’on leur permette d’être entendus comme ils le méritent. Une tribu à part en quelque sorte, qui reste dans une certaine marginalité, qui comme le disait Roland Topor : « préfère vivre dans la marge que de mourir au milieu ». Ce que j’aime chez Vialatte, Topor, Tardieu ou Queneau, que j’ai par ailleurs bien connu, c’est l’idée que le sérieux est le cholestérol de l’imaginaire. La fantaisie est quelque chose qui résiste aux diktats, aux morales définitives et aux gens qui savent. Quand Staline disait « un pays heureux n’a pas besoin d’humour », on comprend combien la seule chose dont il avait peur était la fantaisie. Tout ne peut pas se réduire au seul « bon sens », le « non-sens » est nécessaire, ce qui ne signifie pas « l’absence de sens » mais la volonté de regarder le monde à l’envers pour montrer combien il est ridicule à l’endroit.

Propos recueillis par Hugues Le Tanneur

Théâtre

0624 janv. 2026

Un pas de côté... et l’autre aussi Jean-Michel Ribes • Création au Théâtre de la Ville

Avec Quentin Baillot, Justine Garcia, Ema Haznadar, David Migeot, Marie-Christine Orry & Reinhardt Wagner