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Vous mettez en scène une sorte de culte cérémonial sous le titre de Thikra, référence arabe au souvenir. Quel lien au passé instaurez-vous ?
J’ai imaginé une communauté de femmes qui se rassemble pour honorer sa cheffe défunte. Ce clan féminin va introniser une nouvelle doyenne. Au cours de leur culte, celle que nous appelons la Mère doit faire revenir l’esprit de la défunte et évoquer ses actions en faveur de la communauté. Pour être intronisée, elle doit réussir l’épreuve. Cette future cheffe est incarnée par Azusa Seyama Prioville, interprète phare des pièces de Pina Bausch au Tanztheater Wuppertal et Jin Young Won. Celle de la revenante par Ching-Ying Chien qui participe régulièrement aux créations de ma compagnie. Les autres danseuses forment une sorte de corps de ballet, mais celui-ci est chez moi toujours un personnage à part entière, un soliste en soi.

La communauté qui pratique ce culte est exclusivement féminine. L’avez-vous imaginée ou correspond-elle à une réalité ?
Il existe effectivement des rites incarnés et vus uniquement par des femmes et il m’importe de montrer la beauté et la liberté qui y règnent. Je voulais donc mettre en scène le pouvoir des femmes au sein de ces sociétés, tout en évitant d’y porter un regard occidental. C’est pourquoi je partage cette création avec la plasticienne saoudite Manal AlDowayan, l’une des plus grandes artistes contemporaines. Elle connaît les populations de la région d’Al-‘Ula(1) en Arabie saoudite depuis son enfance et travaille régulièrement avec elles. C’est grâce à elle que nous avons eu la chance de rencontrer l’une des cheffes locales et le groupe nous a montré sa danse des cheveux, alors qu’il est très rare que des personnes extérieures puissent y assister. Elles ont fait danser leurs longues chevelures et j’en ai été médusé, d’une part parce que ma propre mère a également de très longs cheveux et probablement aussi parce que pour ma part, je n’ai pas de cheveux du tout!

De quelle manière les danses de ces femmes ont-elles nourri vos recherches chorégraphiques pour Thikra ?
J’ai essayé d’en retenir autant que possible. Mais la base de ma danse reste le genre classique indien, plus précisément le Kathak, même si les danseuses indiennes de Thikra pratiquent le Bharata natyam. Nous avons aussi des danseuses qui travaillent en Australie, en Europe et dans différents pays d’Asie. Toutes sont ici réunies dans une danse à vocation spirituelle. Pour moi, leur diversité reflète aussi le fait que cette région habitée par les Nabatéens, convoitée et parfois colonisée, est depuis longtemps traversée par différentes cultures, dont la grecque et la romaine. Et j’aime le fait qu’une relation spirituelle avec la nature sauvage y ait été préservée. Car pour moi, au-delà des religions, Dieu se manifeste dans la nature.

Dans ses œuvres, Manal AlDowayan s’inspire souvent des traditions de son pays et signe la scénographie ainsi que les costumes de Thikra. Pour atteindre une dimension universelle ?
Nous créons un rite nouveau qui s’inspire de cérémonies anciennes, à partir de notre intérêt partagé pour la mémoire collective, les mythologies et les croyances. Quand Manal AlDowayan m’a parlé d’une coutume locale très ancienne où des poètes, hommes ou femmes, récitent leurs œuvres en se tenant face à des ruines, je me suis rappelé qu’ailleurs aussi, certaines cultures pratiquaient ce type de cultes. L’idée de Thikra est donc un rite où une tribu de femmes se rend auprès d’un site avec ses vestiges pour rendre hommage à l’esprit qui y est attaché.

Quand vous avez créé Thikra à AlUla, en Arabie saoudite, vous avez donné le spectacle en extérieur, dans un site géologique et historique. Qu’en ramenez-vous pour la version en salle ?
Les représentations dans le désert étaient très particulières. Nous avons intégré une cinquantaine de personnes de la population locale qui traversaient les paysages rocheux, illuminés par notre éclairagiste Zeynep Kepekli. C’était magique! Pour la fabrication des costumes, Manal AlDowayan s’était inspirée de l’héritage local, travaillant avec des tisserands de la communauté d’AlUla. Bien sûr, tout cela n’est pas reproductible en tournée et en salle, mais les impressions restent présentes en nous et portent l’esprit de Thikra.

Propos recueillis par Thomas Hahn

Dance

Oct 02Oct 18, 2025

AKRAM KHAN, MANAL ALDOWAYAN Thikra : Night of Remembering • Original

Featuring 14 dancers