L'art comme forme d'engagement politique

Pionnier de la danse contemporaine en Italie, Roberto Castello évoque son parcours et sa vision de la danse
Avec la compagnie Sosta Palmizi, dont vous avez été l’un des membres fondateurs au début des années 1980, vous avez été l’un des pionniers de la danse contemporaine en Italie. Une trentaine d’années plus tard comment voyez-vous l’évolution du paysage chorégraphique ? Roberto Castello – J’appartiens à une génération pour laquelle l’art était une forme d’engagement politique. Nous étions attentifs aux implications possibles de nos choix, qu’ils soient esthétiques ou en rapport avec les publics. Aujourd’hui, on voit certes des propositions belles et intéressantes, mais on peut remarquer un changement dans la perception du sens. En effet, il me semble que si l’on abandonne une attitude « idéologique » -je ne parle pas là de dogmatisme mais de production d’idées-, on se contente de produire des objets que l’on va essayer de « placer sur un marché”. Je tente de m’y opposer depuis 30 ans. Et cette tâche s’avère particulièrement ardue pour la danse contemporaine, qui ne saurait en aucun cas être un produit marchand.
Un contexte politique défavorable
Le contexte politique italien n’a guère été favorable à la danse contemporaine… RC – Au début, nous avons surtout été accueillis par des théâtres, jusqu’à la promulgation d’une loi à la fin des années 1980, visant à rendre plus difficile l’accès à ces plateaux pour la danse. Il ne nous restait plus que des festivals où nos propositions se retrouvaient aux côtés de compagnies de ballet. On n’avait évidemment rien à voir avec ça et beaucoup ont renoncé…
La danse et la communication non verbale
Pour votre part vous avez su persévérer dans une forme de danse-théâtre qui accorde beaucoup d’importance à la communication non verbale. Dans la pièce que vous présentez à Chantiers d’Europe, il y a quatre personnages, tout de noir vêtu, pris dans un rythme lancinant, et qui ont des expressions très fortes. D’où viennent ces personnages ? RC – Il est difficile de donner une réponse univoque. J’aime beaucoup le philosophe contemporain Romano Gasparotti qui a écrit un livre intitulé “Il quadro invisibile”. A son instar, je crois que l’œuvre n’existe pas en dehors de la perception de celui qui la regarde. Ce qui compte c’est ce qui se passe entre l’œuvre et le spectateur.
L’idée qui est à la base du spectacle a à voir avec le désir, qui peut devrnir dévorant et consommer notre vie. Mais quoi de plus terrible à la fois que l’absence d’un tel désir ! Le point de départ, était simplement la marche, le début de la marche. On s’est aperçu que l’on pouvait atteindre une forme d’épuisement, éprouver un manque d’énergie dans un corps qui est finalement aux antipodes de la puissance véhiculée par le Ballet, d’une part, et du culte d’un corps beau et svelte que les images publicitaires nous imposent et qui peut très bien s’incarner dans la danse. Lorsqu’on a trouvé le titre, on s’est aperçu qu’il fallait continuer à aller de l’avant, ne jamais s’arrêter. Aucune action statique dans le spectacle, on est toujours dans cette dynamique de mouvement.
Je ne bouge pas, je suis bougé
Alors, danse ou théâtre physique ?
RC – Carmelo Bene disait : « Je ne parle pas, je suis parlé ». Je pourrais le paraphraser : je ne bouge pas, je suis bougé. Cela crée une tout autre dimension. Au fond, je crois que la danse n’existe pas ; c’est une illusion, un terme qui vient du classicisme grec, mais qui aujourd’hui n’a aucun rapport réel avec ce qui se passe sur un plateau et qui n’a d’autre valeur que de fournir des catégories. Aujourd’hui, alors que toutes les techniques du monde sont à portée de main, l’objet reste la capacité du corps à évoquer des pensées qui dépassent le signifiant des mots. C’est absolument extraordinaire de voir des spectacles dans une langue que je ne comprends pas, alors qu’on est tellement habitué à être pris dans des contextes narratifs ! Je continue de chercher quelle peut être l’implication politique du geste humain.
Propos recueillis par Jean-Marc Adolphe
Le 24 mai à l'Institut culturel italien de Paris, le spectacle Trigger d'Annamaria Ajmone sera suivi d'une conversation en français avec le chorégraphe Roberto Castello animée par Jean-Marc Adolphe.