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Le spectacle prend appui sur Le Conte de deux cités de Charles Dickens. Quand l’avez-vous lu pour la première fois, quand avez-vous décidé de l’adapter pour la scène et quelles libertés prenez-vous par rapport au roman ?

Je l’ai lu pour la première fois quand j’avais dix-huit ans et j’ai adoré. Je pense que ce livre était en phase avec mon approche plutôt binaire de la vie à ce moment où mon adolescence touchait à sa fin. Il y a cinq ans probablement, j’ai songé à travailler sur cette œuvre pour créer une pièce, mais j’ai écarté l’idée, me disant que ce serait laisser trop de place à la narration. Je l’ai pourtant gardée dans un coin de ma tête et nous voici aujourd’hui pour réaliser le spectacle. Il s’agit certes d’une histoire bien connue, mais pas au point de supposer que les gens s’y repéreront. La question est donc de savoir combien nous devons en raconter. Dans notre pièce nous imaginons un avenir différent pour les personnages de Dickens qui reviennent sur leur vécu.


Dans quelle mesure l’emploi de la caméra sur le plateau devient-il le moteur du spectacle ?

La caméra fait partie de nos recherches autour de l’idée d’un documentaire comme méthode pour raconter une histoire, et nous avons mené une recherche pour voir comment la caméra perturbe notre sens de l’intime et permet de jouer avec la frontière entre sphère privée et sphère publique. On peut parler face à une caméra et avoir l’impression d’être seul ou en train de parler à une seule personne, alors que la vidéo peut être vue par beaucoup de personnes. Notre sentiment d’intimité est un leurre.


Pouvez-vous nous parler de la scénographie ?

Nous avons travaillé avec la scénographe Amber Vandenhoek. J’ai découvert son travail chez la compagnie belge Peeping Tom et j’ai adoré les univers qu’elle crée. À notre projet, elle a répondu par un décor qui reflète l’idée de quelque chose de nouveau à l’intérieur de quelque chose d’ancien. On y trouve aussi l’idée de l’espace intime car la scénographie inclut un espace qui se trouve sur scène, mais ne peut être vu de l’intérieur que grâce à la caméra.


Propos recueillis par Judy Lipsey pour Lost Dog.
Extraits choisis et traduits par Thomas Hahn



QUAND LUCIE MANETTE FAIT SA RÉVOLUTION

Figurant parmi les meilleures ventes en librairie de tous les temps au Royaume-Uni, A Tale of Two Cities dresse le portrait d’un Paris en amont de la Révolution, puis met en perspective la prise de la Bastille et se poursuit sous la Terreur. Si tous les personnages sont fictionnels, ce roman tardif de Charles Dickens est pourtant nourri d’ouvrages sur la Révolution française et la réalité sociale dans la France prérévolutionnaire. Les événements s’emballent quand le docteur Alexandre Manette, libéré après dix-huit ans de détention à La Bastille, s’installe à Londres où il retrouve sa fille Lucie. Celle-ci va épouser Charles Darney, quasiment un alter ego de l’auteur. Mais ce Charles-là est en vérité le neveu et héritier du Marquis St. Evrémonde, assassiné dans un acte de vengeance. À son retour en France après la Révolution, Charles Darney est dénoncé par un ancien domestique du docteur Manette, un certain Ernest Defarge, devenu l’un des meneurs de la prise de la Bastille. Charles Darnay est emprisonné et condamné à la guillotine, mais sauvé in extremis et exfiltré en Angleterre…

Face à une telle fiction reliant ruses, dénonciations, espionnage, vengeances et évasions, on ne s’étonnera guère d’apprendre qu’A Tale of Two Cities a été adapté au théâtre, au cinéma et même à l’opéra. Par contre, Ben Duke semble bien être le premier chorégraphe à s’atteler à la tâche. Et pour cause. Car malgré toute la construction psychologique qu’exige l’écriture d’un roman, Dickens privilégia la mécanique des événements historiques par rapport aux sentiments romantiques. On n’est pas chez Flaubert, et il y a un monde entre Lucie Manette et Emma Bovary, comme entre leurs Charles respectifs, alors que les deux romans ont été publiés à deux ans d’intervalle seulement.

Si Ben Duke s’empare aujourd’hui de A Tale of Two Cities, il ne chorégraphie pas un roman d’action, mais une pièce de danse-théâtre. Et il fait un pas en direction de Flaubert, prenant du recul par rapport aux péripéties pour se concentrer sur les relations entre les personnages. Lucie, incarnation de l’idéal féminin dans l’Angleterre du XIXe siècle, peut ici s’approprier le récit fait par Dickens, pour jeter un regard critique sur son rôle et se confronter à ses vérités intimes. Aussi Ben Duke interroge non seulement la place de la femme mais aussi la conduite de Dickens qui construisit son roman sur une identification forte entre certains personnages et sa propre vie affective. Car celle-ci prenait, à ce moment de sa vie, une tournure particulièrement tumultueuse quand en 1858, tout juste avant d’entreprendre la rédaction du roman, Dickens se sépara de son épouse et mère de leurs dix enfants, pour se lier avec une jeune comédienne. Ce qui ajoute une strate à la mise en abîme de A Tale of Two Cities par Ben Duke, grâce à un procédé reliant les arts chorégraphique, dramatique, visuel et documentaire.


Thomas Hahn

Dance

Mar 22Mar 26, 2022

A Tale of Two Cities

Ben Duke CREATION / LOST DOG