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Mon père s’appelle José Luis Galván Figueras. Ma mère, Eugenia de los Reyes Bermúdez. Ils m’ont donné pour prénom Israel. Mon père est flamenco, ma mère est gitane.

Tous deux formaient un couple de danseurs flamenco, ils se produisaient dans les tablaos. J’ai dansé avec eux, encore dans le ventre maternel. Le duo devint trio. Ma mère ne pouvait plus lever les bras, parce que depuis son ventre, je l’en empêchais. Je suis né en dansant. Quand je suis venu au monde, la danse était là.

Mon premier souvenir du flamenco, c’est l’odeur des tablaos: différente de celle de l’école, différente de celle des lieux de culte.

Je dormais dans l’étui d’une guitare. J’étais l’unique enfant de la nuit. Mon père me faisait monter sur scène; on me jetait des billets, et j’attendais toujours la couleur de celui qui valait le plus. Ainsi s’achevait la danse.

J’ai eu la chance de voir de près les grands maîtres du flamenco.
Aujourd’hui encore, chaque fois que je danse, cet enfant est toujours là, en moi. La seule chose qui a changé, c’est qu’à présent je paie mes impôts.

Je suis un fan du Betis 1 . Manque pierda. J’ai voulu être footballeur, mais je ne suis pas un grand coureur.

La danse, elle, m’a toujours permis d’entrer dans un autre état, de dialoguer avec le public. Elle est mon jouet, mon miroir, mon fantôme. Mes maîtres ont été mes parents (la racine), Mario Maya (l’air), Manuel Soler (la terre) et une photo de Nijinski (l’électricité). Un autre maître fut le vidéoclub du quartier: grâce auquel j’ai découvert tant de films et appris à danser avec un autre esprit.

J’ai remporté de nombreux concours de flamenco. Je dansais alors pour les jurys de l’époque, faisant corps avec ce qu’ils voulaient voir, et je gagnais les prix.

Le flamenco que j’ai connu était à la fois sauvage et intellectuel : je pense à Carmen Amaya et à Vicente Escudero.

Ensuite, j’ai voulu chercher mon propre langage et j’ai entamé mon parcours personnel.
Un jour, j’ai eu l’idée de zapatear hors du rythme: j’ai ainsi rompu avec la doctrine du compás.

Je suis flamenco, je reste flamenco. Tous les gestes que je faisais et que je fais encore ne sont possibles que parce que je n’ai jamais cessé de l’être.

Avec ma première pièce, ¡Mira! Los Zapatos Rojos, et La Métamorphose de Kafka, j’ai découvert que j’étais à part, un peu cinglé pour le milieu du flamenco et tout autant pour le monde de la danse. Les flamencos me disaient que je faisais du ballet. Les danseurs de ballet me disaient que je faisais du flamenco. J’ai pris le risque de continuer. Le risque est mon compagnon de route.

Je m’inspire de thèmes inhabituels. J’emprunte au quotidien, je puise dans la tradition, mais en la déplaçant. Pour arriver à mes «classiques», comme Le Sacre du printemps ou Carmen, j’ai d’abord traversé d’autres territoires: l’apocalypse (El Final de Este Estado de Cosas, Redux), le génocide des gitans (Lo Real), ou encore La Fiesta, une pièce qui m’a donné l’impression d’étreindre un cactus.

Il est des choses qui durent. La Edad de Oro m'accompagne depuis sa création, j'y reviens régulièrement, comme un chez moi que je suis libre de revisiter et de réagencer.

En Espagne, je dansais très vite pour ne pas entendre les chuchotements. En France, j’ai découvert le silence. J’ai pu aller à ma propre allure. Est alors apparu en moi un profil comique dont j’ignorais totalement l’existence. J’ai toujours aimé danser seul. J’aime danser là où, d’ordinaire, l’on ne danse pas.

Quand je danse, l’espace se transforme. La géométrie change. Elle se déplace avec moi. Au bout du compte, je ne danse jamais seul.

Je me sens à l’aise avec Akram Khan, Marlene Monteiro Freitas ou Mohamed El Khatib. Ils sont flamencos. C’est comme les danses africaines, arabes ou encore le kathak, qui me semblent si proches des danses des gitans de Triana 2 . J’aime me transformer régulièrement et me découvrir dans un nouveau corps. Changer de corps me semble plus chorégraphique que d’inventer des chorégraphies. Au bout du compte, chaque création laisse ses marques. Avec le temps, je vois qu’il existe une archive du corps.
Et l’enfant danse, il continue sa danse. L’enfant poursuit, sans s’arrêter.

Propos recueillis par Lucas Arriza Parado (traduction Bernardo Haumont)

Dance

Oct 12Dec 21, 2025

Focus ISRAEL GALVÁN