Rencontre avec la chorégraphe sud coréenne Eun-Me Ahn sur sa création
Avec le titre Post-Orientalist Express vous faites allusion au voyage, à la vitesse, à la traversée et à l’exotisme occidental. Quelle est l’histoire de cette création ?
Tout a commencé en 2019, quand j’ai réuni huit danseuses et danseurs pour voyager ensemble dans différents pays et apprendre les danses traditionnelles respectives, en Thaïlande comme aux Philippines, à Bali, à Okinawa et au Vietnam, puis en Turquie et en Russie. Car le regard occidental, avec ses connotations orientalistes souvent phantasmagoriques, concerne aussi ces terres-là. Mais au lieu d’accuser, je préfère m’en amuser. Je veux proposer un regard plus ouvert et partagé, telle une fenêtre sur un avenir plus serein.
Vous partez donc d’un large éventail de traditions orientales. Comment les traitez-vous pour construire votre spectacle ?
Je me suis laissée inspirer par les énergies respectives des unes et des autres. Mais ensuite, je les déplace et les mélange. Par exemple, une danse aux gants dorées qui correspond à des environnements bouddhistes, où elle est exécutée avec beaucoup de calme, va être traitée avec une énergie musicale dynamique et vivace. Dans un autre tableau, nous utilisons des bâtons de bambou. Les danses de bâtons existent en Indonésie, aux Philippines et ailleurs, mais je ne veux en aucun cas copier une tradition spécifique. C’est pareil pour le ballet des parasols. On les trouve au Japon, en Chine et ailleurs. Avec leur couleur blanche, leur forme ronde et les tiges en bois ils évoquent le yin et le yang, le féminin et le masculin, pour figurer ici une sorte de floraison.
Malgré ces influences variées, vous travaillez cette fois exclusivement avec des danseurs coréens. Pourquoi ce choix?
Dans Dragons, ma création précédente, j’ai fait appel à des interprètes de nationalités et de de cultures différentes en organisant des auditions à l'étranger. Cette fois, j’ai voulu ouvrir mes danseurs coréens aux traditions d’autres pays. Ils ont été formés par des danseurs d’Indonésie, de Taïwan et d'ailleurs que j'ai fait venir en Corée pour animer des ateliers et donner des conférences. Le spectacle que vous voyez est le compte rendu final de ce processus d’apprentissage et d’assemblage qui a duré quatre ans. C’est pour moi une nouvelle façon de construire une pièce.
Votre univers est ici plus coloré que jamais, des costumes à la scénographie. Mais l’abondance chromatique est aussi votre signe distinctif à la ville, alors que les Coréens, surtout à Séoul, préfèrent s’habiller de manière plutôt discrète.
Il est vrai que contrairement à moi, les Coréens portent peu de vêtements colorés. Je considère que la couleur est une façon de se libérer et de s’exprimer individuellement, ce qui est un enjeu de fond pour toute démocratie vivante. Dans Post-Orientalist Express, les couleurs sont porteuses d’énergie et symbolisent la richesse du vivre-ensemble dans l’ouverture à l’autre. Aussi la scénographie est faite de huit cents plateaux revêtus de tissus imprimés que nous avons ramenés de nos voyages chorégraphiques dans l’ensemble des pays visités.
Propos recueillis par Thomas Hahn
